Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3938

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 185-186).

3938. — À MILORD MARÉCHAL[1].
Aux Délices, 4 octobre 1759.

Mylord, when I ran last year into prophecies, like Isaiah and Jeremiah, I did not think I should weep this year over your worthy brother[2]. I learned his death and that of the king’s sister[3] at a time. Nature and war work on together your king’s calamities.

The loss of marchal Keith is a great one. All your philosophy can not remove your grief. Philosophy assuages the wound, and leaves the heart wounded.

This present war is the most hellish that was ever fought. Your Lordship saw formeily one battle a year at the most ; but nowadays the earth is covered with blood and mangled carcasses almost every month.

Let the happy madmen who say that all that is, is well, be confounded ! T’ is not so indeed with twenty provinces exhausted, and with three hundred thousand men murdered.

I wish Your Lordship the peace of mind necessary in this lasting hurricane of horror. I enjoy a calm and delightfull life, that Frederick will never taste of. But the more happy I am, the more I pity kings.

I hope you were as happy as I am, were you not a tender brother[4].

Conservez vos bontés, milord, à un philosophe campagnard, qui sera toujours pénétré pour vous du plus tendre respect.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le feld-maréchal Keith, tué le 14 octobre 1758 à la bataille de Hochkirch.
  3. La margrave de Baireuth, morte le même jour.
  4. Traduction : Milord, lorsque je me jetai l’année dernière dans les prophéties, comme Isaïe et Jérémie, j’étais loin de penser que je pleurerais cette année sur votre digne frère. J’appris sa mort et celle de la sœur du roi en même temps.

    La nature et la guerre concourent aux malheurs de votre roi. C’est une grande perte que celle du maréchal Keith. Toute votre philosophie ne saurait dissiper un tel chagrin. La philosophie adoucit la blessure, mais laisse toujours le cœur blessé.

    La présente guerre est la plus effroyable qui fut jamais. Votre Seigneurie voyait autrefois une bataille par an, tout au plus, tandis qu’aujourd’hui, chaque mois, la terre est couverte de sang et de cadavres déchirés.

    Qu’ils soient confondus, les fous heureux qui disent que tout ce qui est est bien ! Cela n’est pas, en vérité, pour vingt provinces épuisées, ni pour ces trois cent mille hommes égorgés.

    Je souhaite à Votre Seigneurie la paix de l’esprit, nécessaire au milieu de cet horrible ouragan qui ne finit pas. Moi, je jouis d’une vie calme et délicieuse, dont Frédéric ne goûtera jamais ; mais plus je suis heureux, plus je plains les rois.

    J’espérerais vous voir aussi heureux que je le suis, si vous n’étiez pas un tendre frère.