Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3920

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 163-164).

3920. — À M. BERTRAND.
4 septembre.

Je vais écrire, mon cher philosophe, pour qu’on vous rende vos articles de l’Histoire naturelle. Il est rare que les libraires soient fort empressés, quand il s’agit d’un procédé honnête ; tout homme a plus ou moins les vices de sa profession. La Mettrie, dont vous me parlez, n’avait point ceux de la sienne, car, en vérité, il n’était point du tout médecin ; il cherchait seulement à être athée. C’était un fou, et sa profession était d’être fou ; mais ceux qui vous ont dit qu’il était mort repentant sont de la profession des menteurs ; j’ai été témoin du contraire. Quant à Maupertuis, vous pouvez compter que, pour être mort entre deux capucins, il n’en croyait pas davantage à saint François. Il n’était pas moins extravagant que La Mettrie ; il est mort de la rage de sentir qu’il n’avait pas dans l’Europe toute la considération qu’il ambitionnait. Le pays de Saint-Malo est sujet à produire des cervelles ardentes, dans le goût de celles des Anglais[1]. Ma folie, à moi, est d’être laboureur et architecte, de semer au semoir des terres ingrates, et de me ruiner à bâtir un petit palais dans un désert. Au reste, mon cher ami, il ne faut penser ni comme La Mettrie, ni comme Maupertuis, mais comme Socrate, Platon, Cicéron, Épictète, Marc-Aurèle. Les barbares raisonneurs qui sont venus depuis sont la honte du genre humain, et leurs sottises font mal au cœur.

Heureux qui est le maître chez soi, et qui pense librement ! Vale. V.

  1. Saint-Malo est en effet la patrie, non-seulement de Maupertuis et de La Mettrie, mais de Duguay-Trouin, mais de Broussais, mais de Lamennais, mais de Chateaubriand.