Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3919

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 162-163).

3919. — À M. DE CIDEVILLE[1].

Soyez bien malade, mon cher camarade, afin que nous vous guérissions. Venez au temple d’Esculape, faites votre pèlerinage comme les dames de Paris. Nous avons ici depuis deux ans Mme d’Épinai, confessée en chemin, arrivée mourante : non-seulement elle est ressuscitée, mais inoculée. Voilà un grand triomphe et un grand exemple. Et moi donc, ne pourrai-je me citer ? Je m’étais arrangé pour mourir il y a quatre ans, et je me trouve plus fort que je ne l’ai jamais été, bâtissant, plantant, rimant, faisant l’histoire de cet empire russe qui nous venge et qui nous humilie.


Ô fortunatos nimium, sua si bona norint,
Agricolas !


Aussi je ne me suis point fait enduire de térébenthine, et je n’ai pas besoin d’envoyer chercher des capucins. Maupertuis a vécu comme un insensé, et est mort comme un sot. Le roi de Prusse ne pouvait le souffrir ; mais, comme il n’avait alors de niches à faire ni à l’impératrice, ni au roi, il en faisait à Maupertuis et à moi. J’ai pris le parti d’enterrer l’un, et d’être beaucoup plus heureux que l’autre. L’ingratitude du roi de Prusse a fait mon bonheur, et le roi, notre bon maître, l’a comblé en déclarant mes terres libres. Il ne me manque que de vous voir arriver ici pour prendre, comme moi, des lettres de vie au bureau de Tronchin.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

La mode est-elle toujours dans les académies de louer les athées d’avoir eu de grands sentiments de religion ?

Qu’on est sot à Paris !

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.