Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3872

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 122-123).

3872. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 15 juin.

Mon divin ange parmesan, je reçois enfin un mot de votre écriture céleste, et un volume de critiques de Scaliger, de la main de madame l’Envoyée de Parme[1]. Sa négociation ne sera pas difficile. Vous ne songez pas qu’il s’est passé trois semaines entre l’envoi de la chevalerie[2] et votre réponse ; et que, pendant trois semaines, il faut bien qu’une tragédie ait le temps de changer de visage : aussi en a-t-elle changé tous les jours. Je viens d’entrevoir quelques critiques auxquelles j’ai répondu, il y a plus de quinze jours, par des vers bons ou mauvais.

Quelque respect que j’aie pour ce barbare de grand homme Pierre Ier, je l’abandonne à tout moment pour mes chevaliers. Les terres me désolent, M. d’Espagnac[3] m’opprime, les fermiers généraux me tourmentent ; j’ai peu de foin ; et cependant il faut faire des tragédies et des histoires avec une santé déplorable. Mlle Fel a beau adoucir mes maux par son joli gosier, la tête va me tourner.

Mon cher ange, quelle différence de M. le duc de Choiseul à monsieur l’abbé[4] ! Cependant vous n’aviez point hébergé,


Alimenté, rasé, désaltéré, porté[5]

M. le duc de Choiseul. J’augure bien de nos affaires entre les

mains d’un homme qui pense si noblement, qui fait du bien à ses amis : c’est une belle âme. Dites-moi donc un peu, n’est-il pas très-bien avec la personne[6] envers qui on prétend que Dabet fut ingrate ?

Ah çà, combien de fromages de Parmesan vous donne-t-on par année ? N’est-ce pas douze mille ?

Je veux que mon ange soit à son aise. Vraiment M. le duc de Choiseul a eu très-grande raison de créer ce poste ; le beau-père Stanislas a un ministre, et le gendre[7] n’en aurait pas ?

La poste part ; je n’ai pas eu le temps de lire le volume de Mme d’Argental ; je vais le dévorer. Je baise le bout de vos ailes, à tous tant que vous êtes.

  1. Voilà pourquoi Voltaire donne à Mme d’Argental le nom de Mme Scaliger, dans de nombreuses lettres.
  2. Tancrède.
  3. De Sahuguet d’Espagnac, conseiller de grand’chambre depuis janvier 1737, et chef du conseil du comte de La Marche.
  4. L’abbé de Bernis. Il venait d’être créé cardinal (2 octobre 1758), lorsqu’il fut remplacé au département des affaires étrangères par le duc de Choiseul.
  5. Vers du Joueur, de Regnard, acte III, scène iv.
  6. La Porapadour, qui passait pour avoir été fort intime avec Babet-Bernis. (Cl.)
  7. Philippe, duc de Parme, avait épousé Louise-Elisabeth, fille de Louis XV, morte à Versailles le 6 décembre 1759, de la petite vérole.