Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3862

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 113-114).

3862. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
Aux Délices, près de Genève, 4 juin 1759.

Monsieur, pardonnez à mon importunité ; il ne s’agit que d’une vache, c’est le procès de M. Chicaneau, mais vous verrez par la lettre ci-jointe d’un procureur de Gex qu’une vache dans ce pays-ci suffit pour ruiner un homme ; c’est en partie ce qui contribue à dépeupler le pays de Gex, déjà assez malheureux ; les procureurs sucent ici les habitants, et les envoient ensuite écorcher aux procureurs de Dijon. Un nommé Chouet, ci-devant fermier de la terre de Tournay, veut absolument ruiner un pauvre homme nommé Sonnet, et ledit Chouet étant fils d’un syndic de Genève, croit être en droit de ruiner les Français ; il a surpris la vache de Sonnet mangeant un peu d’herbe dans un champ en friche, lequel champ je certifie n’avoir été labouré ni semé depuis plusieurs années. Un grand procès s’en est ensuivi à Gex, l’affaire a été ensuite portée au parlement : il y a déjà plus de frais que la vache ne vaut. Je suis si touché d’une telle vexation que je ne peux m’empêcher d’implorer vos bontés pour un Français qu’on ruine bien mal à propos. Voudriez-vous, monsieur, avoir la charité d’envoyer chercher le procureur Larcher. Ce pauvre homme a trois témoins qui peuvent déposer que la vache saisie n’avait commis aucun dégât ; on n’a point voulu les écouter, et tout se borne à demander beaucoup d’argent ; je crois remplir mon devoir en demandant instamment votre protection pour ceux qu’on opprime.

J’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,


Voltaire.

  1. Éditeur, de Mandat-Granccy. — En entier de la main de Voltaire. (Note du premier éditeur.)