Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3860

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 111-112).

3860. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
3 juin.

Les ailes des anges m’ont obombré, mon cher et respectable ami ; j’ai le brevet pour Ferney plus favorable que je n’avais osé le demander et l’espérer ; il est pour moi comme pour Mme Denis. Je n’aurais jamais osé prétendre que mon nom fût couché, en parchemin, dans une patente signée Louis.

Monsieur l’ambassadeur[1], recevez mes très-humbles actions de grâces.

Mon cher ange, vous avez voulu un pot-de-vin pour vos négociations : vous devez l’avoir reçu ; vous devez avoir lu mon petit drame. Si j’avais pu deviner que M. le duc de Choiseul[2] pousserait ses bontés, que je vous dois, jusqu’à parler de moi dans la chambre du roi, j’aurais, moi, poussé l’insolence jusqu’à demander dans le brevet l’insertion des droits de Tournay : cela n’aurait rien coûté, et cette grâce si naturelle était tout aussi facile que l’autre. Ma modestie m’a perdu, je n’ai pas eu la témérité de parler de moi ; je n’ai demandé les droits de Ferney que pour ma nièce ; mais Tournay ne regardait que moi, et je me suis tu.

Maintenant que mon brevet pour Ferney est obtenu, je n’ai pas l’insolence d’en demander un second pour Tournay. Figurez-vous quel plaisir ce serait d’avoir deux terres entièrement libres, et comme cela irait à l’air de mon visage. M. de Brosses m’a garanti tous les droits de sa terre ; mais c’est le beau billet qu’a La Châtre. Ils disent qu’il n’a pu me garantir des droits qui lui sont personnels ; tant pis pour lui, il ne m’a vendu qu’à cette condition ; mais tant pis pour moi, qui serai vexé.

Monsieur le Parmesan, qui êtes envoyé chez vous, je vous ai fait mon compliment. Vous avez été obligé d’écrire à Parme, vous n’avez pas le temps d’écrire aux Délices. Cependant je vous ai envoyé une tragédie ; pour Dieu, donnez-moi un petit signe de vie. Que dites-vous de l’avis[3] à frère Berthier et à monsieur des Nouvelles ecclésiastiques ?

Mille tendres respects à tout ange.

  1. D’Argental venait d’être nommé ministre plénipotentiaire de l’infant duc de Parme, à Paris. Il reçut alors le titre de comte, qu’il ne portait pas avant de remplir ces fonctions, créées exprès pour lui. (Cl.)
  2. Etienne-François de Choiseul, connu sous le nom de marquis de Stainville jusqu’au mois d’auguste 1758, époque où il fut créé duc de Choiseul, avait remplacé le cardinal de Bernis aux affaires étrangères, vers la fin d’octobre 1758. De 1759 à 1770, Voltaire fut en correspondance suivie avec ce ministre ; mais, par malheur, les lettres les plus intéressantes qu’il lui adressa sont restées inconnues. (Cl.)
  3. Dans la Note qui est après l’ode sur la Mort de la margrave de Baireuth, tome VIII.