Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3857

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 109).

3857. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
28 mai.

Je vous envoie, mon cher ange, mon dernier printemps[1], mon ouvrage du mois de mai. Il est adressé à M. de Courteilles[2]. Ce n’est point à moi d’en juger, c’est à vous ; mais comment prévoir le succès ou la chute d’une pièce qui n’est ni tragédie, ni comédie, ni en rimes ordinaires, et qui n’a aucun objet de comparaison ? Ne sera-t-il pas amusant de la faire donner par Lekain, ou par M. de Lauraguais, comme l’ouvrage d’un jeune inconnu ? J’ai changé la mesure, afin que ce maudit public ne me reconnût pas à ce qu’on appelle mon style. N’allez pas vous attendre à de belles tirades, à de ces grands vers ronflants, à des sentences, à des attrape-parterre, à de l’esprit, à rien enfin de ce qui est en possession de plaire. Style médiocre, marche simple : voilà ce que vous trouverez ; mais, s’il y a de l’intérêt, tout est sauvé. Divin ange, je n’ai pas un moment ; j’ai quitté la Russie pour vous, je retourne à Pétersbourg, et je baise, en partant, les ailes des anges.

  1. Tancrède ; voyez la lettre 3850.
  2. Intendant des finances.