Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3826

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 76).
3826. — DE M. LE BARON DE HALLER[1].
11 avril[2].

Si par philosophe vous entendez un homme qui s’applique à se rendre meilleur, à surmonter ses passions, et à éclairer un esprit révolté dès sa première jeunesse contre le joug de l’autorité, je ne refuserai pas ce caractère. Mais, de tous les effets de la philosophie, celui que j’ambitionnerais le plus, ce serait la tranquillité d’un Socrate à l’égard d’un Aristophane ou d’un Anytus. Exposés de tous côtés aux médisances et aux jugements injustes, nous ne pouvons être heureux qu’à force d’insensibilité. J’avouerai avec vous que le tempérament influe beaucoup, et qu’une certaine irritabilité dans les nerfs ne nous permet pas de commander aux premiers mouvements.

En effet, monsieur, il serait plus réjouissant de parler de philosophie. Tout ce qui suit sans choix les lois du Créateur est d’un ordre parfait et d’une régularité admirable. Il n’y a que la liberté qui ait introduit le mal.

Vous ignorez apparemment que je suis cultivateur, et que je me plais à lutter contre les mauvaises qualités du terroir ; j’éprouve tous les jours qu’elles résistent à l’industrie de l’homme, mais qu’elles lui cèdent à la fin : ce sont des victoires innocentes que j’aime à remporter. Un marais desséché sur lequel je ferais une récolte, une colline couverte d’épines qui rendrait de l’esparcette par mes soins, voilà les conquêtes que j’aime à faire…

  1. Biographie d’Albert de Haller (seconde édition). Paris, Delay, 1845. — Desnoiresterres, Voltaire aux Délices.
  2. Dans la Biographie, cette lettre est datée du 11 août. Mais, comme le pense M. Desnoiresterres, il n’est pas probable que Haller ait attendu plus de quatre mois pour répondre à la lettre du 22 mars.