Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3222
On m’écrit de Paris qu’on parie à Londres, à bureau ouvert, vingt contre un que M. le maréchal de Richelieu sera mené prisonnier en Angleterre avant quatre mois, et celui qui me l’écrit a envoyé vingt guinées, à ce qu’il dit, pour en gagner quatre cents. Je parierais bien vingt contre un, mais il est encore plus doux de mettre un contre vingt. Si la chose est ainsi, faisons fortune aux dépens de l’Angleterre. Je veux bien parier cinquante louis pour M. de Richelieu, et compte ne rien hasarder. Je vous conseille d’en faire autant : cela vaut mieux que Cadix. Informez-vous, je vous prie, de cette folie anglaise, et punissons-la.
M. le docteur Tronchin continue ses miracles, mais il ne peut rien sur monsieur le conseiller votre frère. Ce n’est que dans sa famille qu’il ne fait point de prodiges, mais il y a des miracles impossibles. On dit des choses si extraordinaires du roi de Pologne et du roi de Suède ; mais je ne les crois point. Il faut attendre le dénoûment de tout ceci. Quand le dernier des Autrichiens aura tué le dernier des Prussiens, cela n’empêcherait pas qu’il fallût songer à ses petites affaires. Je n’ai besoin dans le moment présent que des secours de votre Esculape ; paralytique d’une jambe, mordu à l’autre par mon singe[2], ne digérant point, et ayant souvent la fièvre, je suis un corps très-ridicule. Je vous écris comme je peux.
- ↑ Revue suisse, 1855, page 404.
- ↑ Voltaire avait donné le nom de Luc à un gros singe dangereux ; pendant la guerre de Sept ans, le roi de Prusse n’était connu aux Délices que sous ce nom. Son singe qu’il chicanait, le mordit à la jambe : les domestiques étaient prêts à tuer le singe ; Voltaire le sauva de leurs mains en s’imputant à lui-même la colère du singe. (Note du conseiller Tronchin.)