Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3112

Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 544-546).

3112. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Monrion, 7 février.

Je vous remercie bien fort, mon héros, de votre belle et instructive épître. Il est vrai que vous écrivez comme un chat, et que, si vous n’y prenez garde, vous égalerez le maréchal de Villars. Je me flatte bien que vous l’égalerez tout de même, quand il ne sera pas question de plume : mais il me semble que le nouveau traité dont le roi de Prusse s’applaudit ne vous permettra pas la guerre de terre. Vous ne seriez pas le premier de votre nom[1] qui eût gagné une bataille navale ; mais, jusqu’à présent, vous n’avez pas tourné vos vues de ce côté. Vous allez pourtant vous montrer à la Méditerranée ; et je voudrais que les Anglais fissent une descente à Toulon, pour que vous les traitassiez comme on vient de les traiter à Philadelphie.

Je reviens à Fontenoy. Je suis encore à comprendre comment ma nièce ne vous donna pas le manuscrit que je lui avais envoyé pour vous. Ce manuscrit ne contenait que des mémoires qu’il fallait rédiger et resserrer ; il y avait une grande marge qui attendait vos instructions dans vos moments de loisir.

M. de Ximenès, qui allait souvent chez ma nièce, sait comment ces mémoires, informes et défigurés, ont été imprimés en partie. Je ferai transcrire l’ouvrage entier dès que je serai de retour à mes petites Délices auprès de Genève. Il est bien certain que le nom de Reiss ou de Thésée[2] est une chose fort indifférente ; mais ce qui ne l’est point, c’est qu’on ose vous contester le service important que vous avez rendu au roi et à la France.

Permettez-moi seulement de vous représenter qu’en vous tuant de dire qu’il n’y a pas un mot de vrai dans la conversation rapportée, vous semblez donner un prétexte à vos envieux de dire que ce qui suit cette conversation n’est pas plus véritable.

Je n’ai pas inventé le Thésée, et, par parenthèse, cela est assez dans le ton de M. le maréchal de Noailles. C’est, encore une fois, votre écuyer Féraulas qui me l’a conté ; c’est une circonstance inutile, sans doute ; mais ces bagatelles ont un air de vérité qui donne du crédit au reste ; et, si vous me contestez le Thésée publiquement, vous affaiblissez vous-même les vérités qui sont liées à cette conversation. On présumera que j’ai hasardé tout ce que je rapporte de cette journée si glorieuse pour vous.

Au reste, toute cette histoire est fondée sur les lettres originales de tous les généraux ; et quelques petites circonstances qu’on m’a dites de bouche ne peuvent, je crois, faire aucun tort au reste de l’histoire, quand je rapporte mot pour mot les lettres qui sont dans le dépôt du ministre.

Je souhaite que la guerre sur mer soit aussi glorieuse que la dernière guerre en Flandre l’a été.

Croirez-vous que le roi de Prusse vient de m’envoyer une tragédie de Mèrope mise par lui en opéra ? Il m’avertit cependant qu’il n’est occupé qu’à des traités. Je voudrais que vous vissiez quelque chose de son ouvrage, cela est curieux. Faites vos réflexions sur ce contraste et sur tous ces contrastes. J’aurais pu donner quelques bons avis ; mais je me renferme dans mon obscurité et dans ma solitude, comme de raison.

Je ne doute pas que vous ne voyiez Mme de Pompadour avant votre départ. Je n’ai qu’à vous renouveler mon éternel et respectueux attachement.

  1. Allusion à la digue construite par les ordres du cardinal de Richelieu, en 1628, pour fermer le port de la Rochelle à la flotte anglaise.
  2. Ceci est relatif à ce passage du récit de la bataille de Fontenoy dans l’Histoire de la guerre de 1471 ; Amsterdam, 1755, in-12, seconde partie, page 163 :

    « M. le duc de Richelieu se présente hors d’haleine, l’épée à la main, et couvert de poussière. « Eh bien, Reiss, lui dit le maréchal de Noailles « (c’était une plaisanterie entre eux), « quelle nouvelle apportez-vous ? »

    Apparemment que Richelieu avait fait observer à Voltaire que le surnom qu’on lui donnait n’était pas Reiss, mais Thésée. (B.)

    Richelieu paraît avoir tout simplement contesté la vérité de ce détail.