Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3069

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 513-514).

3069. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, près de Genève, 1er décembre.

Je dicte, mon cher ange, mes très-humbles et très-tendres remerciements, car il y a bien des jours que je ne peux pas écrire. Je vous avais envoyé le paquet pour l’Académie avant d’avoir reçu la lettre par laquelle vous m’avertissiez de la noble et scrupuleuse attention de messieurs des postes ; je profiterai dorénavant de votre avis. Je vous assure qu’on vous en a donné un bien faux quand on vous a dit que je faisais une nouvelle tragédie. Le fait est que Mme Denis avait promis Zulime à messieurs de Lyon ; mais, comme monsieur le cardinal votre oncle ne va pas au spectacle, la grosse Mme Destouches[1] se passera de Zulime.

Ceux qui ont imprimé la rapsodie[2] dont vous avez la bonté de me parler ont bien mal pris leur temps. L’Europe est dans la consternation du jugement dernier arrivé dans le Portugal. Genève, ma voisine, y a plus de part qu’aucune ville de France ; elle avait à Lisbonne une grande partie de son commerce. Cette aventure est assurément plus tragique que les Orphelin et les Mèrope. Le Tout est bien de Matthieu Garo[3] et de Pope est un peu dérangé. Je n’ose plus me plaindre de mes coliques depuis cet accident. Il n’est pas permis à un particulier de songer à soi dans une désolation si générale. Portez-vous bien, vous, Mme d’Argental, et tous les anges, et tâchez de tirer parti, si vous pouvez, de cette courte et misérable vie ; je suis bien fâché de passer les restes de la mienne loin de vous. S’il y a quelques nouvelles sur Jeanne, je vous supplie de ne me laisser rien ignorer.

Je vous embrasse bien tendrement.

  1. Directrice du théâtre du Lyon.
  2. La Pucelle d’Orléans, poëme en quinze chants.
  3. Voyez lettre 3067.