Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3050

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 497-498).

3050. — À M. G.-C. WALTHER.


Aux Délices, près de Genève, 5 novembre 1755.

Mandez-moi, mon cher Walther, si je peux vous envoyer par la poste cette tragédie de l’Orphelin de la Chine que vous me demandez. Je l’ai encore beaucoup changée depuis qu’elle est imprimée : c’est ainsi que j’en use avec tous mes ouvrages, parce que je ne suis content d’aucun. Cela déroute un peu les libraires, et j’en suis très-fâché ; mais je ne puis m’empécher de corriger des ouvrages qui me paraissent défectueux. C’est un malheur pour moi de connaître trop mes défauts, et il n’y aura jamais de moi d’édition bien arrêtée qu’après ma mort. Le sieur Lambert à Paris, et les sieurs Cramer à Genève, ont voulu, chacun de leur côté, faire une nouvelle édition de mes œuvres. Je ne puis corriger celle de Lambert ; mais je ne puis m’empêcher de corriger, dans celle des frères Cramer, toutes les pièces dont je suis mécontent ; c’est un ouvrage auquel je ne puis travailler qu’à mesure qu’on imprime, il y a à chaque page des corrections et des additions si considérables que tout cela fait, en quelque façon, un nouvel ouvrage. Si vous pouviez trouver le moyen de mettre toutes ces nouveautés dans votre dernière édition[1], cela pourrait lui donner quelque cours à la longue ; mais c’est une chose qui ne pourrait se faire que par le moyen de quelque éditeur habile ; et encore je ne vois pas comment il pourrait s’y prendre. Je suis très-fâché de toute cette concurrence d’éditions. Si j’avais pu trouver quelque séjour agréable dans votre pays, vous savez bien que je me serais fait un plaisir infini de vous aider et de tout diriger ; mais ma santé ne m’a pas permis de m’établir dans votre climat. Partout où je serai, je vous rendrai tous les services dont je serai capable. Si je peux vous envoyer par la poste quelque chose qui m’est tombé entre les mains, et qui vous donnerait un grand profit, je vous ferai ce plaisir sur-le-champ ; mais, comme c’est un ouvrage qui n’est pas de moi, et de l’orthodoxie duquel je ne réponds pas, je ne vous le ferai parvenir qu’en cas que vous puissiez agir discrètement et sans imprimer cette pièce sous votre nom,


  1. L’édition de 1752 en sept volumes.