Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3044

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 491-492).

3044. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 25 octobre.

Sur des lettres que je reçois de Paris je suis obligé, mon cher ange, de vous supplier très-instamment de faire réciter la scène dernière du quatrième acte comme je l’ai imprimée, en conservant les corrections que j’ai envoyées, et dont on a fait usage à Fontainebleau. Je sais bien, et je l’ai mandé plusieurs fois, qu’il faut dire :


Nous mourrons, je le sais · · · · · · · · · · · · · · ·

(Acte IV, scène vi.)


au lieu de


Tu mourras, je le sais · · · · · · · · · · · · · · ·


mais on me mande que les vers


Cependant du tyran j’irrite la furie ;
Je te laisse en ses mains, je lui livre ta vie[1] ;


et


· · · · · · · · · · · · · · · Je m’immole après toi ;
· · · · · · · · · · · · · · · Je t’en donne ma foi, etc.


jettent un froid mortel sur cette scène. Je te donne ma foi de mourir après toi est pris de Chimène, est touchant dans Chimène, et à la glace dans Idamé. C’est bien cela dont il s’agit ! Il n’y a pas là d’amourette. Je veux mourir, cher époux ; vis, ma chère femme ; tout cela est au-dessous d’Idamé et de Zamti. Au nom de Dieu, faites jouer cette scène comme je l’ai faite, en mettant seulement nous mourrons, au lieu de tu mourras. Point de lieux communs

sur la promesse de mourir, sur des prières de vivre.


… Non erat his locus…

(De Art. poet., v. 19.)

La vie n’est rien pour ces gens-là. Je vous en supplie, mon cher ange, ayez la bonté de penser comme moi pour cette fin du quatrième acte. Otez-moi


Cependant du tyran j’irrite la furie.


Je vous écris en hâte, la poste part ; cette maudite Pucelle d’Orléans est imprimée, et je suis bien loin d’être en état de refaire mes Chinois. Ils iront comme ils pourront ; mais ne refroidissons point cette fin du quatrième acte. Pardon, pardon.

  1. Voyez la lettre précédente.