Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3040

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 487-488).

3040. — À M. DE BRENLES.
Au Délices, 24 octobre.

Qu’est-ce que la vie, mon cher philosophe ? Voilà ce Giez si frais, si vigoureux, mort dans mon pauvre Monrion : cela me rend cette maison bien désagréable. J’aimais Giez de tout mon cœur, je comptais sur lui ; il m’avait arrangé ma maison de son mieux ; j’espérais vous y voir incessamment. Sa pauvre veuve mourra peut-être de douleur. Giez était sur le point de faire une fortune considérable ; sa famille sera probablement ruinée : voilà comme toutes les espérances sont confondues. Je n’ai que deux jours à vivre, en passerai-je un avec vous ? Quand revenez-vous à Lausanne ? Vous seul serez capable de me déterminer à habiter Monrion. Je suis bien incapable de répondre aux vers flatteurs de Mme de Brenles ; le chagrin étouffe le génie. On me mande de tous côtés que la Pucelle est imprimée, mais on ne me dit point où ; tout ce que je sais, c’est que ce galant homme de capucin[1] en a proposé treize chants à Francfort à un libraire nommé Esslinger ; mais il voulait les vendre si cher que le libraire a refusé le marché ; il est allé les faire imprimer ailleurs. Saint François d’Assise vous a envoyé là un bien vilain homme.

Mme Denis et moi, nous vous assurons de notre tendre attachement ; nous en disons autant à Mme de Brenles. V.

  1. Maubert de Gouvest, alors calviniste ; voyez la lettre 2962.