Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2981

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 433-434).

2981. — À M. TRONCHIN, DE LYON[1].
Le 13 août 1755.

Si monseigneur le cardinal est instruit de la calomnie, n’est-il pas juste qu’il le soit de ma conduite ? C’est ce que j’ai laissé à votre prudence et à votre amitié, suivant le temps et l’occasion. Si le malheur incroyable que l’abbé Pernetti m’a fait craindre m’arrivait en effet, en ce cas vous auriez toujours la bonté de me faire tenir mon bien en quelque endroit que je fusse, à mesure qu’il vous rentrerait et que j’aurais des besoins nouveaux. Mais j’espère que nous n’en serons pas réduits à cette extrémité si funeste et si peu méritée. Je ne demande qu’à finir mes jours en paix dans l’agréable retraite que votre esprit noble et conciliant m’a procurée.

Les belles-lettres ne servent qu’à empoisonner la vie, et il n’y a de bon on fait de lettres que celles de change. J’ai dépensé plus de quarante mille écus depuis que je suis ici ; le reste servira à me faire mourir en paix ailleurs, si la calomnie vient me persécuter au pied des Alpes. Mais je ne conseille pas à ceux qui m’ont rendu de mauvais offices de m’en rendre encore, s’ils ne veulent que je rende leur nom exécrable à la postérité. Je suis un peu en colère, mais j’ai raison.

[2]Voilà donc les Anglais qui prennent nos vaisseaux. Je renvoie mes maçons et mes charpentiers. Pourquoi donc deux nations commerçantes se font-elles la guerre ? Elles y perdent l’une et l’autre. Il est honteux que les négociants de tous les pays n’aient pas établi entre eux la neutralité, comme faisaient autrefois les villes hanséatiques. Il faudrait laisser les rois se battre avec leurs grands diables de soldats, et que le reste du monde se mît enfin à être raisonnable.

  1. Revue suisse, 1855, page 281.
  2. Cet alinéa se trouve déjà dans une lettre que nous avons donnée, d’après MM. de Cayrol et François, sous le n° 2891.