Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2980

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 431-432).

2980. — À M. POLIER DE BOTTENS.
Aux Délices, 12 août.

Vous m’avez fait venir sur votre lac, mon cher monsieur, et malgré toutes les horreurs qui m’environnent, je ne me jetterai pas dans le lac[1]. Sachez les faits, et voyez mon cœur.

1° Quiconque viendra m’apporter un écrit tel que Grasset m’en a présenté un, je le mettrai entre les mains de la justice, parce que je veux bien qu’on rie de saint Denis, et que je ne veux pas qu’on insulte Dieu.

2° Corbi n’est point un être de raison ; c’est un homme très-connu ; c’est un facteur de librairie à Paris. Grasset lui offrit, au mois de mai, quatre mille exemplaires d’un manuscrit (qu’il devait acheter à Lausanne,

3° Un conseiller d’État de France m’envoya la lettre de Grasset à Corbi, et Grasset, intimidé, n’imprima rien à Lausanne.

4° Une femme nommée Dubret, qui demeure à Genève, dans la même maison que Grasset, vint, il y a un mois, me proposer de me vendre ledit manuscrit pour quarante louis d’or.

5° Grasset, le 26 juillet, vint me l’offrir pour cinquante louis ; et, pour m’engager, il me montra un échantillon fait par le laquais d’un athée, échantillon écrit de sa main, et dont il avait eu soin de faire trois copies.

6° Je le fis mettre en prison ; il est banni, et, s’il revient à Genève, il sera pendu.

7° À l’interrogatoire, il a décelé un capucin défroqué, nommé Maubert.

8° Le capucin Maubert a répondu à la justice qu’il tenait le manuscrit de M. de Monlolieu[2] ; et lui et Grasset ont dit que M. de Monlolieu l’avait acheté cent ducats, et voulait le vendre cent ducats, soit à moi, soit à Mme de Pompadour, par le canal de M. de Chavigny.

9° Il est faux que M. de Montolieu ait acheté ce manuscrit cent ducats, puisqu’il dit à Lausanne qu’il le tient de son fils, lequel le tient, dit-il, de Mme la margrave de Baireuth.

10° J’instruis M. de Montolieu de tout ce que dessus.

11° Je vais écrire au roi de Prusse, au prince Henri, à madame la margrave ; tous les trois savent bien que mon véritable ouvrage, fait il y a trente ans, et qu’ils ont depuis dix ans, ne contient rien de semblable, ni aux platitudes de laquais dont le manuscrit de M. de Montolieu est farci, ni aux horreurs punissables dont on vient de l’infecter.

12° Si on veut le vendre à Mme de Pompadour, on s’y prend tard ; il y a longtemps que je le lui ai donné.

13° Ce n’est point Mme la margrave de Baireuth qui a donné au fils de M. de Montolieu les fragments ridicules qu’il possède, c’est un fou nommé Tinois[3].

  1. Comme avait fait Guyot de Merville dans les premiers jours de mai précédent.
  2. Voyez tome XXXVI, page 517.
  3. Voyez tome XXXVII, pages 69 et 221.