Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2924

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 383-384).

2924. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, le 28 mai.

Vous me disiez, dans votre dernière lettre, mon cher et ancien ami, que je devrais bien vous envoyer quelques chants de la Pucelle. Je vous assure que je vous ferai tenir, de grand cœur, tout ce que j’en ai fait. Ne m’en ayez pas d’obligation ; je suis intéressé à remettre le véritable ouvrage entre vos mains. Les lambeaux défigurés qui courent dans Paris achèvent de me désespérer. On s’est avisé de remplir les lacunes de toutes les grossièretés qui peuvent déshonorer un ouvrage. On y a ajouté des personnalités odieuses et ridicules contre moi, contre mes amis, et contre des personnes très-respectables[1]. C’est un nouveau brigandage introduit depuis peu dans la littérature, ou plutôt dans la librairie. La Beaumelle est le premier, je crois, qui ait osé faire imprimer l’ouvrage d’un homme, de son vivant, avec des commentaires chargés d’injures et de calomnies. Ce malheureux Érostrate du Siècle de Louis XIV a trouvé le secret de changer, pour quinze ducats, en un libelle abominable un livre entrepris pour la gloire de la nation.

On en a fait à peu près autant des matériaux de l’Histoire générale, et enfin on traite de même ce petit poëme fait il y a environ vingt-cinq ans. On fait une gueuse abominable de cette Pucelle, qui n’avait qu’une gaieté innocente. Corbi prétend qu’un nommé Grasset a acheté mille écus un de ces détestables exemplaires.

Je sais quel est ce Grasset ; il n’est point du tout en état de donner mille écus. Corbi ferait à la fois une très-mauvaise action et un très-mauvais marché d’imprimer cette détestable rapsodie. Les morceaux qu’on m’a envoyés sont faits par la canaille et pour la canaille. Si vous rencontrez Corbi, dites-lui qu’on le trompe bien indignement. Songez que, quand on falsifie mes ouvrages, c’est votre bien qu’on vole, et que vous devriez venir ici arranger votre héritage.

  1. Mme de Pompadour, que Frédéric appelait Cotillon II, et que Marie-Thérèse appela sa chère amie, avait, ainsi que Louis XV, place dans des vers qui sont aujourd’hui parmi les variantes, chants II, XIV et XV.