Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2920

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 380-381).

2920. — DE MADAME DENIS
à m. le comte d’argensson, ministre de la guerre.
Des Délices, près Genève, 25 mai 1755.

Mon oncle étant trop malade, monseigneur, pour avoir l’honneur de vous écrire, je vous supplie, en son nom et au mien, de vouloir bien employer vos bontés pour nous, votre autorité et votre équité, pour prévenir une chose très-désagréable, sur laquelle je vous ai conté mes craintes depuis si longtemps.

On fait courir dans Paris des morceaux très-informes de ce poëme intitulé la Pucelle, fait il y a plus de vingt années. Comme ces fragments sont imparfaits, chacun se donne la liberté de remplir les lacunes à sa fantaisie. On m’en a envoyé des morceaux dont la licence n’est pas tolérable ; cela est fait par des gens qui ont aussi peu de décence que de goût.

Des libraires cherchent, dit-on, à imprimer ces rapsodies : un ordre de votre part, monseigneur, pourrait prévenir ce scandale.

Nous vous supplions, mon oncle et moi, avec la plus vive instance, de rendre ce service aux belles-lettres et au bon goût, dont vous êtes le protecteur ; ce sera une nouvelle obligation que nous vous aurons. Il serait bien cruel que mon oncle, à son âge, accablé de maladies dans sa retraite, eût l’affliction de voir paraître sous son nom un ouvrage qui n’a jamais été fait pour être imprimé, et qu’on a rendu si indigne de lui. Il paye bien cher sa réputation par l’avidité de ceux qui se servent si souvent de son nom pour tromper le public. Mais que ne fait-on pas pour de l’argent et pour nuire aux talents qui excitent l’envie ? La mienne serait de vous convaincre du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, monseigneur, votre très-humble et très-obéissante servante.


Denis.