Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2853

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 322-323).

2853. — À M. LE MARQUIS DE XIMENÈS.
Au château du Prangins, pays de Vaud, 19 janvier.

Vous voyez, monsieur, que tous les maux sont sortis pour moi de la boîte de Pandore avec les doubles croches de M. Royer. Il ne savait pas seulement que Pandore fût imprimée, et il fit faire, il y a un an, des canevas par M. de Sireuil son ami, qui crut que j’étais mort, comme les gazettes l’avaient annoncé, Royer, ne pouvant me tuer, a tué un de mes enfants ; je souhaite que le sien vive. Il m’écrivit, il a trois mois, que son opéra était gravé. Il le sera sans doute dans la mémoire, mais il ne l’était pas encore en papier. Je fis les plus humbles remontrances[1] ; je n’ai rien obtenu. On me regarde comme mort ; on vend mon bien, et on le dénature. M. de Sireuil m’a écrit ; il me paraît un homme sage et modeste, très-fâché de la peine qu’on l’a engagé à prendre et à me faire. Je ne crois pas qu’il soit possible d’empêcher cette nouvelle tribulation, qu’il faut bien que j’essuie. Je n’ai pas même l’espérance qu’on disait être au fond de la boîte. C’est un nouveau malheur, et, qui pis est, un malheur ridicule. Vous m’offrez généreusement votre secours ; vous voulez qu’un M. de La Salle[2] sous vos ordres, remédie autant qu’il pourra à cette déconvenue. J’accepte vos bontés ; il faudrait que tout se passàt sans choquier personne ; il faut craindre un ridicule de plus. Royer dit qu’il ne veut rien changer à sa musique. Il a obtenu une approbation pour faire imprimer le poëme sous le nom de Fragments de Prométhée, avec les changements et les additions que M. Royer a crus propres à sa musique ; c’est à peu près ce que porte le titre.

Voilà où en est cette aventure. Si, dans de telles circonstances, vous croyez que je puisse être reçu à me mêler de mon ouvrage, et que ma procuration à M. de La Salle soit valable, je suis prêt à vous l’envoyer signée d’un notaire suisse, et légalisée par un Bailli.

Adieu, monsieur ; je vous remercie bien tendrement ; je suis très-malade. Mme Denis, qui a eu le courage de me suivre et d’être ma garde, vous fait les plus sincères compliments. Vous savez par combien de titres je vous suis attaché. Permetez-moi de présenter mes respects à madame votre mère.

  1. Voyez la lettre 2831.
  2. Peut-être doit-on lire ici de La Solle, nom d’un auteur de quelques romans alors récemment publiés, et aussi inconnus que lui aujourd’hui. — H.-Fr. de La Solle mourut en 1761. (Cl.)