Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2555

Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 23-24).

2555. — À M. ROQUES.
Chez M. le duc de Gotha, 30 avril.

Monsieur, je comptais, en passant à Francfort, vous présenter moi-même le Supplément[1] au Siècle de Louis XIV, que je vous ai dédié. C’est un procès bien violent ; vous en êtes le juge par votre esprit et par votre probité, et vous êtes devenu un témoin nécessaire. Vous ne pouvez être informé pleinement du malheur que le passage de La Beaumelle à Berlin a causé. Vous en jugerez en partie par ma dernière lettre[2] au roi de Prusse, dont je vous envoie copie pour vous seul.

Vous savez que je vous ai toujours mandé que j’étais trop instruit des cruels procédés de M. de Maupertuis envers moi. Je savais que Mme la comtesse de Bentinck avait obligé deux fois La Beaumelle de jeter dans le feu cet indigne ouvrage, où tant de souverains et Sa Majesté prussienne sont encore plus outragés que moi. Je savais que La Beaumelle, au sortir de chez Maupertuis, avait deux fois recommencé ; mais je ne puis citer le témoignage de Mme ]a comtesse de Bentinck, ni celui des autres personnes qui ont été témoins de la cruauté artificieuse avec laquelle Maupertuis m’a poursuivi près de deux années entières. Je ne peux citer que des témoignages par écrit, et je n’ai que la lettre de La Beaumelle.

Vous n’ignorez pas avec quel nouvel artifice Maupertuis a voulu en dernier lieu déguiser et obscurcir l’affaire, en exigeant de La Beaumelle un désaveu ; mais ce désaveu ne porte que sur des choses étrangères à son procédé.

Je n’ai jamais accusé Maupertuis d’avoir fait les quatre lettres scandaleuses dont La Beaumelle a chargé la coupable édition du Siècle de Louis XIV. Je me suis plaint seulement de ce qu’il m’a voulu perdre, et de ce qu’il a réussi. Je ne me suis défendu qu’en disant la vérité ; c’est une arme qui triomphe de tout à la longue. C’est au nom de cette vérité toujours respectable et souvent persécutée que je vous écris. Je suis très-malade, et j’espérerai, jusqu’au dernier moment, que le roi de Prusse ouvrira enfin les yeux. Je mourrai avec cette consolation, qui sera probablement la seule que j’aurai.

Je suis, etc.

  1. Ce Supplément, divisé en trois parties, est la réfutation des calomnies de La Beaumelle. Il est précédé d’une Lettre à M. Roques. Voyez tome XV. paire 89.
  2. La lettre 2550.