Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2450

Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 505).

2450. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
1752.

La nature, pour moi plus marâtre que mère,
Ne m’a point accordé le don
D’entonner au sacré vallon
Les chants mélodieux de Virgile et d’Homère ;
Et lorsqu’elle doua Voltaire
D’un plus vaste génie et des traits d’Apollon,
Me laissant un regard sévère,
Elle me donna la raison.


C’est mon lot que cette vieille raison, ce bon sens qui trotte par les rues : il peut suffire pour ne pas se noyer dans la rivière quand on voit un pont sur lequel on peut la passer. Ce bon sens est ce qu’il faut pour se conduire dans la vie commune ; mais cette même raison, qui m’avertit d’éviter un précipice quand j’en vois un sur mon passage, m’apprend à ne pas sortir de ma sphère et à ne point entreprendre au-dessus de mes forces. C’est pourquoi, en me rendant justice, et en avouant que mes vers sont mal faits, ma raison est assez éclairée pour me faire admirer les vôtres. Je vous remercie de M. de Coucy[1] qui est, selon moi, votre chef-d’œuvre tragique. Quant à l’empereur Julien[2], il pourra devenir excellent si vous y ajoutez les raisons pour et contre sa conversion, et que vous retranchiez, dans ce que j’ai lu, l’endroit où vous effleurez ce sujet, qui est trop faible en comparaison des arguments forts que vous ajouterez.

  1. La tragédie du Duc d’Alençon.
  2. Il s’agit sans doute de l’esquisse de l’article Apostat du Dictionnaire.