Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2096

Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 134-135).

2096. — DU PRINCE LOUIS DE WURTEMBERG[1].

Que je suis fâché, monsieur, de n’avoir pu assister aux représentations de Rome sauvée, que vous avez bien voulu accorder à Mme la duchesse du Maine ! Les personnes qui ont été plus heureuses que moi ne peuvent assez m’exprimer leur contentement. Je vous prie de ne pas douter de la part que j’y prends. J’en suis pénétré de joie, mais je ne m’en suis point étonné ; vous êtes fait pour nous donner du parfait, et on doit l’attendre d’un génie tel que le vôtre. Mais pourquoi être ingrat à votre patrie ? Pourquoi nous soustraire un morceau digne des Romains, que vous dépeignez si bien, pour l’emporter dans des contrées éloignées ? Est-ce pour nous priver du plaisir de vous applaudir ? ou est-ce que vous ne nous croyez pas dignes de posséder du bon ? Je crois, à vous dire la vérité, avoir deviné juste, et ne puis que vous donner raison. Vous n’êtes pas fait, monsieur, pour être en concurrence avec l’auteur d’Aristomène et de Cléopâtre. Quoi de plus . insultant pour nous que de voir réussir ces deux pièces avec tant d’éclat ? Quoi de plus cruel et de plus insultant pour la France que de voir son plus beau génie s’éloigner d’elle, lui à qui on devrait élever des autels, et qu’on devrait encenser comme un dieu ? Et que de gloire pour vous d’être le seul, dans ce siècle lâche et efféminé, qui pensiez avec force et avec élévation ! Je vous le répète encore, monsieur ; rien ne m’a plus flatté que les adoucissements que mes amis vous ont justement accordés. Je désirerais pouvoir vous prouver tout le plaisir que cela m’a fait, et, en même temps, l’amitié et l’attachement avec lesquels je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Louis, prince de Wurtemberg.

  1. Louis-Eugène, prince de Wurtemberg, second fils de la duchesse de Wurtemberg, dont parle Voltaire dans sa lettre du 3 octobre 1743 au ministre Amelot, naquit au commencement de 1731. Voyez la lettre 1894.