Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1924

Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 542-543).

1924. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Lunéville, le 30 octobre.

Je reçois la lettre de mon cher ange, du 18. Vous me dites, mon cher et respectable ami, que la prétention de M. de Maurepas est insoutenable ; mais savez-vous qu’en réponse à la lettre la plus respectueuse, la plus soumise et la plus tendre, il m’a mandé sèchement et durement qu’on jouerait la parodie[1] à Paris, et que tout ce qu’on pouvait faire pour moi était d’attendre la suite des premières représentations de ma pièce ? Or cette suite de premières représentations pouvant être regardée comme finie, on peut conclure de la lettre de M. de Maurepas que les Italiens sont actuellement en droit de me bafouer ; et, s’ils ne le font pas, c’est qu’ils infectent encore Fontainebleau de leurs misérables farces faites pour la cour et pour la canaille.

M. le duc de Gèvres[2] m’a mandé que les premiers gentilshommes de la chambre ne se mêlaient pas des pièces qu’on joue à Paris. En effet, la permission de représenter tel ou tel ouvrage a toujours été dévolue à la police et peut-être tout ce que peut faire un premier gentilhomme de la chambre, c’est de faire servir son autorité à intimider des faquins qui joueraient une pièce malgré eux, et à se faire obéir plutôt par mesure que par droit.

Cependant ce que vous me mandez, et la confiance extrême qui j’ai en vous, me font suspendre mes démarches. J’allais envoyer une lettre très-forte à Mme de Pompadour, et même un placet au roi, qui n’est pas assurément content à présent de celui[3] qui me persécute. Je supprime tout cela, et je ne m’adresserai au maître que quand je serai abandonné d’ailleurs ; mais j’ai besoin de savoir à quoi m’en tenir, et jusqu’à quel point s’étendent les bontés et l’autorité de M. le duc de Fleury et de M. le duc d’Aumont. Je vous demande en grâce d’écrire sur cela promptement à M. le duc d’Aumont, et de me donner la réponse la plus positive sur laquelle je prendrai mes mesures. Je serais très-aise de ne pas importuner le roi pour de pareilles sottises, et que la fermeté de M. d’Aumont m’épargnât cet embarras mais, s’il y a la moindre indécision du côté des premiers gentilshommes de la chambre, vous sentez bien que je ne dois rien épargner, et que je ne dois pas en avoir le démenti.

Vous devez avoir reçu un gros paquet par M. de La Reynière. En voici un autre qui n’est pas de la même espèce. Je vous prie de donner au digne coadjuteur un Panégyrique[4] ; je devrais faire le sien.

Il y en a un aussi pour l’abbé de Bernis. Je n’ai point reçu la lettre dont vous m’aviez flatté de sa part ; mais j’espère que, s’il est nécessaire, vous l’encouragerez à écrire bien pathétiquement à Mme de Pompadour contre les parodies en général, et contre celle de Sémiramis en particulier. Mme de Pompadour est très-disposée à me favoriser, mais il ne faut rien négliger.

Mme du Châtelet promet plus qu’elle ne peut, en parlant d’un voyage prochain. Je le voudrais, mais je prévois qu’il faudra attendre près d’un mois.

Je travaille sous terre pour Mouhy ; je vous prie de le lui dire. Grand merci des moyeux. Adieu, mes très-aimables anges.

  1. Voyez, tome IV, page 485, le n° ix de la note 3.
  2. Voyez la note 4, page 532.
  3. Le comte de Maurepas. Louis XV l’exila en novembre 1749, comme auteur d’une épigramme contre la Pompadour. (Cl.)
  4. Le Panégyrique de Louis XV. Voyez tome XXIII, page 263.