Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1922

Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 540-541).

1922. — AU LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE[1].
À Lunéville, ce 21 octobre 1748.

Monsieur, j’ai autant de confiance en vous que de reconnaissance. Le roi a été touché de mes représentations, et il n’a pas voulu qu’on déshonorât à Fontainebleau un ouvrage fait pour lui par un de ses officiers et honoré de ses bienfaits. Je me flatte qu’avec votre protection, cette défense s’étendra jusqu’à Paris. Il serait bien étrange qu’on voulût produire à la ville un scandale défendu à la cour. Mais, monsieur, si, contre toute apparence, il arrivait que mes ennemis prévalussent si un malheureux conflit de juridiction, dont on m’a parlé, servait à donner gain de cause aux comédiens italiens, je vous supplierais de vouloir bien m’en faire donner avis. Il me semble que quiconque est le maître de proscrire ou de permettre ces scandales pourra se laisser toucher par mes prières et par mes raisons, sans que je sois obligé d’importuner encore le roi et de le faire expliquer. Je me repose de tout, monsieur, sur votre protection et sur votre prudence. Je vous ai ouvert mon cœur sur les suites que cette affaire peut avoir pour moi, et je vous renouvelle les plus vives instances. J’ajouterai que M. Crébillon aurait pu prévenir tous ces embarras en ne donnant pas son approbation à la parodie. Je sais bien qu’il y a dans cet ouvrage des personnalités odieuses, assez déguisées à la vérité, pour que l’examinateur puisse les passer sans se commettre, mais assez intelligibles pour que la malignité, qui a l’oreille fine, en fasse son profit. Il pourrait, étant mon confrère et ayant malheureusement fait une tragédie de Sémiramis qui n’a pas réussi, se dispenser d’approuver une satire contre la mienne ; mais les mêmes raisons qui devaient le retenir l’ont fait agir.

Personne au monde n’est plus capable que vous, monsieur, d’apaiser tout cela, soit en conseillant aux Italiens de ne pas hasarder cet ouvrage, soit en différant l’examen nouveau que vous en pourriez faire, soit en cherchant à vous instruire des volontés du roi, soit enfin en représentant à M. de Maurepas ce que les conjonctures vous permettront de lui dire. Je vous demande pardon de vous importuner pour une chose qui est, en elle-même, bien frivole, mais qui, par la situation où je suis, m’est devenue très-essentielle. J’attends tout de vous, et je serai toute ma vie, monsieur, avec la reconnaissance la plus respectueuse, etc.

  1. Éditeur, Léouzon Leduc.