Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1921

Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 539-540).
1921. ‑ À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lunéville, ce 23 octobre.

Voici, mon cher et respectable ami, un gros paquet de Babylone ; mais, à présent, le point essentiel est d’empêcher la parodie à la ville comme à la cour. J’ai lieu de penser que M. Marmontel m’ayant écrit de la part de Mme de Pompadour, et m’ayant redit ses propres paroles « Que le roi était bien éloigné de vouloir me faire la moindre peine, et que la parodie ne serait certainement point jouée », j’ai lieu, dis-je, de me flatter que cette proscription d’un abus aussi pernicieux est pour Paris comme pour Versailles.

Je vais écrire dans cet esprit à M. Berryer, et l’ordre du roi, à Fontainebleau, sera pour lui un nouveau motif de me marquer sa bienveillance, et une nouvelle facilité de se faire entendre aux personnes qui pourraient favoriser encore la cabale qui s’est élevée contre moi. Je suis fâché que M. le duc d’Aumont soit le seul qui ne réponde point à mes lettres mais je n’en compte pas moins sur sa fermeté et sur la chaleur de ses bons offices, animé par votre amitié. Je vous prie de m’instruire sur tout ce qui se passe de cette affaire, qui m’est devenue très-essentielle. La reine m’a fait écrire, par Mme de Luynes, que les parodies étaient d’usage, et qu’on avait travesti Virgile. Je réponds que ce n’est pas un compatriote de Virgile qui a fait l’Énéide travestie, que les Romains en étaient incapables ; que si on avait récité une Enéide burlesque à Auguste et à Octavie, Virgile en aurait été indigné que cette sottise était réservée à notre nation[1] longtemps grossière et toujours frivole ; qu’on a trompé la reine quand on lui a dit que les parodies étaient encore d’usage ; qu’il y a cinq ans qu’elles sont défendues ; que le théâtre français entre dans l’éducation de tout les princes de l’Europe, et que Gilles et Pierrot ne sont pas faits pour former l’esprit des descendants de saint Louis.

Au reste, si j’ai écrit une capucinade[2], c’est à une capucine.

Voici, mon divin ange, une autre grâce que je vous demande c’est de savoir au juste et au plus vite de Mlle Quinault de quel remède elle s’est servie pour faire passer un énorme goitre dont elle s’est défaite. Il y a ici une dame beaucoup plus jolie qu’elle qui a un cou extrêmement affligé de cette maladie, et vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault. Ajoutez cette grâce à tant d’autres bontés. Et mes moyeux ? Ah monsieur de Pont-de-Veyle, mes moyeux !

Ce 21.

Le roi de Pologne, qui avait envoyé ma lettre à la reine, et qui en était très-content, a été fort piqué que nos adversaires aient prévalu auprès de la reine, et que ce ne soit pas elle à qui j’aie l’obligation de la suppression de l’infamie. Les mêmes gens qui avaient fait la calomnie sur Zadig ont continué sous main leurs bons offices, et le roi de Pologne en est très-instruit. Dites cela à l’abbé de Bernis, et qu’il écrive Mme de Pompadour pour la suppression de l’infamie à la ville comme à la cour.

  1. En 1745, Fougeret de Monbron avait publié la Heriade travestie.
  2. La lettre 1914.