Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1900

Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 521-522).
1900. — À M. DE LA NOUE,
à l’hotel des comédiens du roi, faubourg saint-germain.
À Commercy, ce 27 juillet.

J’eus l’honneur, monsieur, en partant de Paris[1], de vous faire tenir le changement qui vous parut convenable dans le rôle d’Assur. Je me flatte que vous avez bien voulu faire porter ce changement sur le rôle et sur la pièce. Permettez-moi de vous demander si vous n’aimeriez pas mieux

Quand sa puissante main le ferma sous mes pas

(Semiramis, acte II, scène iv)

que

Quand son adroite main

Il me semble que ce terme d’adroite n’est pas assez noble, et sent la comédie. Je vous prie d’y avoir égard, si vous êtes de mon avis.

J’apprends que 1. le duc d’Aumont nous fait donner une décoration digne des bontés dont il honore les arts, et digne de vos talents. Cette distinction, que les auteurs méritent, me rend encore plus timide et plus méfiant sur mon ouvrage. Il serait bien triste de faire dire que le roi a placé sa magnificence et ses bontés sur un ouvrage qui ne les méritait pas. C’est à vous, monsieur, et à vos camarades de réparer par votre art les défauts du mien ; vous êtes un grand juge de l’un et de l’autre. Il y a pourtant un point sur lequel j’aurais quelques représentations à vous faire : c’est sur l’idée où vous semblez être que le tragique doit être déclamé un peu uniment. Il y a beaucoup de cas où l’on doit, en effet, bannir toute pompe et tout tragique ; mais je crois que, dans les pièces de la nature de celle-ci, la plus haute déclamation est la plus convenable. Cette tragédie tient un peu de l’épique, et je souhaite qu’on trouve que je n’ai point violé cette règle :

Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus.

(Hor., de Art. poet., v. 191)

Le cothurne est ici chaussé un peu plus haut que dans les intrigues d’amour, et je pense que le ton de la simplicité ne convient point à la pièce. C’est une réflexion que je soumets à vos lumières, comme je me repose du rôle uniquement sur vos talents. Je vous prie de croire que j’ai l’honneur d’être avec l’estime la plus sincère, etc.

  1. Le 28 juin précédent.