Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1877

Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 502).
1877. ‑ À M. DE CIDEVILLE.
Le 2 janvier 1748.

Les rois ne me sont rien, mon bonheur ne se fonde
Que sur cette amitié dont vous sentez le prix ;
Mais, hélas ! Cideville, il est dans ce bas monde
Beaucoup plus de rois que d’amis.

Mon malheur veut que je ne voie guère plus mes amis que les rois. Je suis presque toujours malade. Je n’ai envisagé qu’une fois le roi mon maître depuis son retour[1], et il y a plus de six mois que je ne vous ai vu.

Il est bien vrai que nous avons joué à Sceaux des opéras, des comédies, des farces, et qu’ensuite, m’élevant par degrés au comble des honneurs, j’ai été admis au théâtre des petits cabinets, entre Moncrif et d’Arboulin. Mais, mon cher Cideville, tout l’éclat dont brille Moncrif ne m’a point séduit. Les talents ne rendent point heureux, surtout quand on est malade ils sont comme une jolie dame dont les galants s’amusent, et dont le mari est fort mécontent. Je ne vis point comme je voudrais vivre. Mais quel est l’homme qui fait son destin ? Nous sommes, dans cette vie, des marionnettes que Brioché mène et conduit sans qu’elles s’en doutent.

On dit que vous revenez incessamment. Dieu veuille que je profite de votre séjour à Paris un peu plus que l’année passée ! En vérité, nous sommes faits pour vivre ensemble ; il est ridicule que nous ne fassions que nous rencontrer. Adieu, mon cher et ancien ami ; Mme du Châtelet-Newton vous fait mille compliments. V.

  1. Louis XV était revenu à Versailles le 26 septembre 1747, dix jours après la prise de Berg-op-Zoom par Lowendahl, fait maréchal de France à cette occasion.