Correspondance de Voltaire/1747/Lettre 1868

Correspondance de Voltaire/1747
Correspondance : année 1747GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 494-495).

1868. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON[1].
Paris, le 12 juin.

L’éternel malade, l’éternel persécuté, le plus ancien de vos courtisans, et le plus écloppé, vous demande avec l’instance la plus importune que vous ayez la bonté d’achever l’ouvrage que vous avez daigné commencer auprès de M. Le Bret, avocat général. Il ne tient qu’à lui de s’élever et de parler seul dans mon affaire assez instruite, et dont je lui remettrai les pièces incessamment. Il empêchera que la dignité du Parlement ne soit avilie par le batelage indécent qu’un misérable tel que Mannory apporte au barreau.

La bienséance exige qu’on ferme la bouche à un plat bouffon qui déshonore l’audience, méprisé de ses confrères, et qui porte la bassesse de son ingratitude jusqu’à plaider, de la manière la plus effronté, contre un homme qui lui a fait l’aumône.

Enfin je supplie mon protecteur, de mettre dans cette affaire toute la vivacité de son âme bienfaisante. Je suis né pour être vexé par les Desfontaines, les Rigoley, les Mannory, et pour être protégé par les d’Argenson.

Je vous suis attaché pour jamais, comme ceux qui voulaient que vous les employassiez vous disaient qu’ils vous étaient dévoués.

Mille tendres respects[2].

  1. Cette lettre, placée par Beuchot en 1746, est de 1747.
  2. La sentence de la Tournelle rendue le 9 août sur les conclusions de l’avocat général Le Bret, supprima les deux libelles, le mémoire de Rigoley, deux pages de la lettre de l’abbé d’Olivet à son frère, conseiller au parlement de Besançon (9 décembre 1746) où il expliquait le rôle qu’il avait joué dans cette affaire, « les termes injurieux répandus dans les requêtes et mémoires de toutes les parties », et, pour le surplus, mit les plaideurs « hors de cour, dépens compensés ». Le Parlement repoussait la demande en dommages-intérêts formée contre Voltaire par Travenol père, parce que l’arrestation de celui-ci était « le fait du prince », ou tout au moins de la police. C’était un cas de force majeure dont nul ne devait être responsable. Le 8 octobre 1747, un ordre du roi fait rendre à Travenol tous les papiers qui ont été saisis chez lui, à l’exception de ceux qui appartiennent à Voltaire et qui lui seront rendus, et des imprimés non revêtus de permission et de privilège qui seront déposés à la Bastille. Cette affaire avait duré plus de seize mois.