Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1848

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 470).

1848. — À M. DE CIDEVILLE.
À Fontainebleau, ce 9 novembre.

Je ne sais plus qui disait que les gens qui font des tragédies n’écrivent jamais à leurs amis. Cet homme-là connaissait son monde. Un tragédien dit toujours : J’écrirai demain. Il met proprement toutes les lettres qu’il reçoit dans un grand portefeuille, et versifie. Son cœur a beau lui dire : Écris donc à ton ami ; vient un héros de Babylone, ou une piaillarde de princesse, qui prend tout le temps.

Voilà comme je vis, mon très-aimable Cideville me voici à Fontainebleau[1], et je fais tous les soirs la ferme résolution d’aller au lever du roi ; mais tous les matins je reste en robe de chambre avec Sémiramis. Mais comptez que je me reproche bien plus de ne vous avoir point écrit que de n’avoir point vu habiller Louis XV. Au moins je me console en disant : C’est pour eux que je travaille. Mon cher Cideville, si j’ai de la santé, j’irai à Paris à votre lever, je viendrai vous montrer ma besogne ; je réparerai ma paresse. Revenez, mon cher ami je ne sais pas ce qu’on fera sur nos frontières, mais tout sera à Paris en fêtes, et c’en est une bien grande pour moi de vous revoir.

Bonjour ; je vous embrasse tendrement. V.

  1. Ce fut pendant ce séjour à Fontainebleau que Mme du Châtelet perdit au jeu 84,000 livres ; Longchamp, dans l’article V de ses Mémoires, donne quelques détails sur cette particularité, qui amena la retraite de Voltaire à Sceaux chez la duchesse du Maine.