Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1835

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 458-459).
1835. — À M. BOURGEOIS[1].

Puisque vous travaillez, monsieur, à une bibliothèque poitevine, et que j’ai, dit-on, l’honneur de sortir d’une petite famille du Poitou, puisque me voilà tout Poitevin, par le titre d’académicien de la Rochelle dont je suis honoré[2], puisque enfin vous voulez bien parler de moi, il faut que vous soyez instruit de toutes mes faiblesses. Une qui m’est la plus ordinaire, et dont je vous fais ma confession, est de mettre dans un portefeuille les lettres que je reçois et de croire toujours que je répondrai demain : des études de différent genre, des voyages, des maladies, font que ce demain ne vient point, et quelquefois au bout d’un mois je finis par ignorer si j’ai répondu ou non, par être honteux de moi-même, et par un beau et inutile dessein de me corriger. Je sais bien que j’ai dû vous prier de présenter à l’Académie mes très-humbles remerciements, que j’ai dû vous dire combien je suis touché de cette adoption, mais je vous avoue que je ne sais si j’ai rempli ce devoir. Si malheureusement je suis coupable, je vous supplie, monsieur, d’obtenir ma grâce. L’attachement véritable que j’aurai toute ma vie pour une Académie qui fait l’honneur de mon ancienne patrie réparera la faute que je crains d’avoir faite. Je compte avoir l’honneur de vous envoyer dans quelques semaines, à vous, monsieur, et à l’Académie, une édition nouvelle de la Henriade. La mémoire de mon héros est précieuse aux Rochelois. On aura toujours de l’indulgence pour la Henriade en faveur de Henri IV. Je vous supplie encore une fois d’excuser mon peu de mémoire, et d’assurer l’Académie de ma respectueuse reconnaissance. Je serai toute ma vie, avec les sentiments qui m’attachent à elle et à vous, monsieur, etc.

Voltaire.

  1. Même source que la lettre 1785.
  2. Inutile d’avertir le lecteur que la Rochelle n’est point dans le Poitou, mais dans l’Aunis. (H. B.)