Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1810

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 440-441).

1810. — À M. DE MAUPERTUIS.
Paris, ce 1er mai.

Mon illustre ami, je vous reconnais ; vous ne m’oubliez point, quoiqu’il soit permis d’oublier tout le monde auprès du grand Frédéric et entre les bras de l’amour[1]. Jouissez de tous les avantages qui vous sont dus ; pour moi, je n’ai que des consolations ; ma malheureuse santé me les rend bien nécessaires. Il est vrai, mon illustre ami, que le roi m’a fait présent de la première charge de gentilhomme de la chambre, qu’il a augmenté ma pension, qu’il m’accable de bontés ; mais je me meurs, et n’ai plus de consolations que dans l’amitié.

Me voici enfin votre confrère dans cette Académie française où ils m’ont élu tout d’une voix, sans même que l’évêque de Mirepoix s’y soit opposé le moins du monde. J’ennuierai le public d’une longue harangue lundi[2] prochain ; ce sera le chant du cygne. J’ai fait un petit brimborion[3] italien pour l’Institut de Bologne, dans lequel j’ai l’honneur d’être votre confrère ; je ne vous en importune pas, parce que je ne sais si vous avez daigné mettre la langue italienne dans l’immensité de vos connaissances.

Mme du Châtelet fait imprimer sa traduction[4] de Newton ; vous devez l’en aimer davantage. Je vois quelquefois votre ami La Condamine, qui vient prendre chez nous son café au lait, en allant à l’Académie[5]. Nous parlons de vous, nous vous regrettons, nous espérons que vous ferez ici quelque voyage ; mais pressez-vous, si vous voulez voir en vie votre admirateur et votre ami V.

M. de Valori, M. d’Argens, daignent-ils se souvenir de moi ? Voulez-vous bien leur présenter mes très-humbles compliments ? M. de Couville[6] est-il à Berlin ? Daignez ne me pas oublier auprès de lui, ni auprès de ceux à qui j’ai fait ma cour, quand j’ai eu le bonheur trop court d’être où vous êtes pour longtemps. Mais il y a une personne que je veux absolument qui ait un peu de bonté pour moi : c’est Mme de Maupertuis. Adieu. Mme du Châtelet vous fait les plus sincères compliments.

  1. Maupertuis venait d’épouser, à Berlin, Catherine-Éléonore de Borcke, qui lui survécut.
  2. Le 9 mai 1746. Voyez tome XXIII, page 205.
  3. La Dissertation que nous avons donnée tome XXIII, page 219.
  4. Voyez la note, tome XXIII, page 515.
  5. Celle des sciences. La Condamine ne fut reçu à l’Académie française qu’en 1760.
  6. M. de Couville était un gentilhomme normand attaché à Frédéric comme chambellan.