Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1755

Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 387-388).

1755. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
Le 17 août.

J’ai envie de ne point jouir du bénéfice d’historiographe sans le desservir ; voici une belle occasion. Les deux campagnes du roi méritent d’être chantées, mais encore plus d’être écrites. Il y a d’ailleurs en Hollande tant de mauvais Français qui inondent l’Allemagne d’écrits scandaleux, qui déguisent les faits avec tant d’impudence, qui, par leurs satires continuelles, aigrissent tellement les esprits, qu’il est nécessaire d’opposer à tous ces mensonges la vérité représentée avec cette simplicité et cette force qui triomphent tôt ou tard de l’imposture. Mon idée ne serait pas que vous demandassiez pour moi la permission d’écrire les campagnes du roi ; peut-être sa modestie en serait alarmée, et d’ailleurs je présume que cette permission est attachée à mon brevet ; mais j’imagine que si vous disiez au roi que les impostures qu’on débite en Hollande doivent être réfutées, que je travaille à écrire ses campagnes, et qu’en cela je remplis[1] mon devoir ; que mon ouvrage sera achevé sous vos yeux et sous votre protection ; enfin, si vous lui représentez ce que j’ai l’honneur de vous dire, avec la persuasion que je vous connais, le roi m’en saura quelque gré, et je me procurerai une occupation qui me plaira, et qui vous amusera. Je remets le tout à votre bonté. Mes fêtes[2] pour le roi sont faites ; il ne tient qu’à vous d’employer mon loisir.

Je n’entends point parler de la Russie. Oserai-je vous supplier de vouloir bien me recommander à M. d’Alion ? Vous me protégez au Midi, daignez me protéger au Nord ; et puisse la paix habiter les quatre points cardinaux du monde, et le milieu ! Mme du Châtelet vous fait mille compliments.

  1. Des fragments informes de l’ouvrage entrepris alors par Voltaire ont été publiés, en 1755, sous le titre de Histoire de la guerre de mil sept cent quarante et un.
  2. Le Temple de la Gloire, et la Princesse de Navarre, à laquelle son auteur avait fait quelques changements.