Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1730

Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 366).

1730. — À M. DE CIDEVILLE.
30 mai.

Vos vers sont charmants, mon très-cher ami c’est à eux, et non aux miens, que je devrai cette belle fumée après laquelle on court. Permettez-moi donc la vanité de les faire imprimer. Les encouragements que vous me donnez me font plus de plaisir que vos beaux vers n’humilient les miens. Bonjour ; la tête me tourne ; je ne sais comment faire avec les dames, qui veulent que je loue leurs cousins et leurs greluchons. On me traite comme un ministre je fais des mécontents.

Quant au maréchal de Noailles, il a été très-satisfait, et c’est lui qui a fait au roi la lecture de l’ouvrage. Il n’y a personne à l’armée qui n’ait senti combien il était délicat de parler de M. le maréchal de Noailles, l’ancien du maréchal de Saxe, et n’ayant pas le commandement. Les deux vers[1] qui expriment qu’il n’est point jaloux, et qu’il ne regarde que l’intérêt de la France, sont un petit trait de politique, si ce n’en est pas un de poésie et ce sont précisément ces vérités qui donnent à penser à un lecteur judicieux. Ces traits si éloignés des lieux communs, et ces allusions aux faits qu’on ne doit pas dire hautement, mais qu’on doit faire entendre ; ce sont là, dis-je, ces petites finesses qui plaisent aux hommes comme vous, et qui échappent à ceux qui ne sont que gens de lettres. Bonsoir ; je suis excédé.

Je vous embrasse tendrement. V.

  1. Vers 33 et 34 du Poëme de Fontenoy.