Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1717

Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 353-355).

1717. — À M. LE MARQUIS DE VALORI[1].
À Paris, le 1er mai 1745.

Vous achevez mon bonheur, monsieur, par l’intérêt que vous daignez y prendre ; c’est le comble de la séduction de parler le langage de la poésie, pour me rendre encore plus sensible aux grâces que le roi m’a faites.

Modeste et généreux, Louis nous fait chérir
Et sa personne et son empire.

Que ne puis-je le peindre aux siècles à venir !
Mais il faudrait savoir écrire
Comme vous savez le servir.

Je sens tout le prix de la coquetterie que vous me faites en m’envoyant les vers de M. Darget ; ce doit être un grand agrément pour vous d’avoir un homme qui écrit si joliment ; mais permettez que je le félicite aussi d’être auprès de vous. Ses vers et votre prose me donnent bien de la vanité.

Apollon chez Admète autrefois fut berger ;
Chez Valori je le vois secretaire ;
Il peut se déguiser et ne saurait changer :
On le connaît à l’art de plaire.

J’ai reçu un peu tard votre charmante lettre ; M. d’Argenson me l’avait envoyée à Châlons, où j’avais suivi Mme du Châtelet, qui y avait gardé monsieur son fils malade de la petite vérole. La lettre m’a été renvoyée aujourd’hui à Paris ; elle me flatte trop pour que je tarde à y répondre. Je vous suis fort obligé d’avoir bien voulu parler de moi au roi de Prusse ; il doit être d’autant plus sensible à ma petite fortune que les bontés dont il m’honore n’ont pas peu servi à déterminer celles du roi notre maître. M. de Maupertuis quitte la France pour Berlin. On ne peut, en effet, quitter notre cour que pour celle où vous êtes mais enfin tout le monde ne peut pas quitter la France, et il faut bien que les beaux-arts se partagent. D’ailleurs M. de Maupertuis a de la santé, et je suis plus infirme que jamais ; les grands voyages me sont interdits comme les grands plaisirs. Vous, qui avez de la santé, monsieur, vous allez probablement en Silésie, tandis que M. d’Argenson va en Flandre ; chacun de vous sera auprès d’un héros. Puissent ces deux héros nous donner bientôt la paix dont l’Allemagne et l’Angleterre ont plus besoin que nous ! Je n’aurai pas la consolation de revoir M. d’Argenson avant son départ ; il faut s’immoler au préjugé qui m’exclut de Versailles pour quarante jours, parce que j’ai vu un malade à quarante lieues. Ce n’est pas le premier mal que les préjugés m’ont fait. Je vous supplie, monsieur, d’ajouter à vos bontés celle de me conserver dans le souvenir de la cour de Berlin, qui me sera toujours bien chère. Daignez ne me point oublier auprès de MM. de Podewils et de Borcke : vous avez sans doute l’aimable M. de Keyserlingk ; comment se porte le philosophe mon cher Isaac, et comment suis-je avec lui ? Il me semble que je serai toujours très-bien auprès de ceux que vous aimez, et je compte sur votre protection : j’ose ici joindre mes vœux pour la santé des reines et de toute la famille royale. Adieu, monsieur, aimez un peu Voltaire.

  1. Voyez, tome XXXIV, une note de la lettre 1152.