Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1604
La Haye en Touraine est donc une ville bien célèbre ! Savez-vous, mon cher et respectable ami, que votre lettre adressée à la Haye n’est pas venue d’abord en Hollande ? Je l’ai reçue avec ces belles paroles : « Inconnu à la Haye en Touraine, renvoyée à la Haye en Hollande. » Oh bien ! il n’y aura plus de quiproquo, me voici sur le chemin de Berlin. Le roi de Prusse devait aller à Spa, il devait aller à Aix-la-Chapelle ; il m’ordonne d’aller lui faire ma cour dans sa capitale, et peut-être apprendrai-je, en courant la poste, qu’il a changé d’avis, et il faudra courir en Franconie ou dans le haut Palatinat. Heureusement je ne crains point les housards[1] en voyageant, comme je fais, avec des Allemands et d’ailleurs je leur réciterai des vers pour la reine de Hongrie. Le fameux colonel Mentzel[2] a commencé par être comédien. Je lui ferai jouer Jules César, puisqu’on ne le joue point à Paris. Ah ! plût à Dieu que les dévots ne fussent pas plus à craindre que les housards ! Ayez pitié de moi, saltem vos amici mei. Écrivez-moi un petit mot à Berlin. On dit que vous n’avez pas trop bien vendu votre charge[3]. On n’achète chèrement dans ce temps-ci que des malheurs. Daignez me mander ce que devient ce pays fait pour être aimable : y est-on bien fou ? y a-t-on de la crainte, de l’espérance ? ou plutôt Paris ne s’occupe-t-il pas plus d’une danseuse que de ce qui se passe sur le Rhin ? Cela n’est peut-être pas si fou. Les véritables fous, en vérité, sont ceux qui font tuer les hommes, et je mets encore de ce nombre ceux qui voyagent en Prusse, pouvant être à Paris ; mais, puisque ces fous-là sont les plus malheureux, dites-leur des choses bien consolantes daignez les égayer par des nouvelles. Ayez la bonté de présenter leurs respects à vos parents et à vos amis. Bonsoir, mes anges ; j’enrage du meilleur de mon cœur. Adieu, les plus aimables personnes du monde.
- ↑ Voyez la lettre 1443.
- ↑ Sur Mentzel, voyez tome XIX, page 624.
- ↑ D’Argental ayant vendu sa charge de conseiller en la quatrième chambre des enquêtes, fut nommé conseiller d’honneur, le 30 juillet 1743.