Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1595

Correspondance de Voltaire/1743
Correspondance : année 1743GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 226-227).

1595. — À M. AMELOT[1],
ministre des affaires étrangères.
À la Haye, 2 août.

Monseigneur, je dépêchai, le 21 du mois passé, un courrier jusqu’à Lille avec un paquet qu’il devait rendre à Mme Denis, ma nièce, femme du commissaire des guerres. Dans ce paquet, il y en avait un pour M. le comte de Maurepas ; et, sous l’enveloppe de M. de Maurepas, une lettre[2] d’environ six pages, que j’avais l’honneur de vous adresser sans signature. Cette lettre contenait, entre autres particularités, la petite découverte que j’avais faite que le roi de Prusse fait négocier secrètement un emprunt de quatre cent mille florins à Amsterdam, à trois et demi pour cent. Je concluais de là, ou que ses trésors ne sont pas aussi considérables qu’on le dit, ou qu’il veut emprunter à un petit intérêt pour rembourser des sommes qui en portent un plus grand. Je vous demandais la permission de me servir de cette connaissance pour tâcher de démêler s’il voudrait recevoir des subsides, et j’osais proposer une manière d’affamer les armées ennemies, laquelle ce prince pouvait mettre en usage avec adresse.

Le même jour, 21 du mois passé, je fis proposer, par une voie très-secrète[3], à ce monarque, de faire quelques difficultés aux Provinces-Unies, touchant le passage des munitions de guerre qui doivent remonter le Rhin sur son territoire. Il a approuvé le projet, et, si les choses ne changent pas, son ministre aura ordre de retarder le passage de ces munitions autant qu’il le pourra. On s’y prend avec beaucoup d’art. L’envoyé du roi de Prusse a ordre de ne point communiquer avec l’ambassadeur[4] de France, parce qu’on craint qu’il ne s’en prévale dans la chaleur des conjonctures présentes. On ne veut point du tout paraître lié avec vous, et on veut vous servir sous main, en ménageant la république.

Je tâcherai de faire fermenter ce petit levain. Je peux vous assurer que le fond des sentiments du roi de Prusse est tel qu’il était en 1741, quand il écrivit la lettre ci-jointe[5], dont j’ai l’honneur-de vous envoyer copie.

Je compte toujours lui faire ma cour, à Aix-la-Chapelle, vers le 18 de ce mois.

    par le maréchal de Noailles, avec explication en français et en hollandais. (Note de M. René d’Argenson.)

  1. Jean-Joseph Amelot de Chaillou, né le 30 avril 1689 ; reçu à l’Académie française en 1727. Successeur, le 22 février 1737, de Germain-Louis Chauvelin, comme ministre des affaires étrangères ; il fut renvoyé le 26 avril 1744, et remplacé, en novembre suivant, par le marquis d’Argenson.
  2. Cette lettre et celle que Voltaire adressa à Maurepas nous sont inconnues.
  3. Si c’est par une note, elle est perdue. Voyez lettre 1600.
  4. Le marquis de Fénelon.
  5. On ne trouve, dans les Œuvres du roi de Prusse, ni cette lettre, ni celle dont il est question dans la lettre suivante.