Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1586
Sous vos magnifiques lambris,
Très-dorés autrefois, maintenant très-pourris[1],
Emblème et monument des grandeurs de ce monde,
Ô mon maître, je vous écris,
Navré d’une douleur profonde !
Je suis dans votre Vieille Cour[2],
Mais je veux une cour nouvelle,
Une cour où les arts ont fixé leur séjour,
Une cour où mon roi les suit et les appelle,
Et les protège tour à tour.
Envoyez-moi Pégase, et je pars dès ce jour.
Mon héros a-t-il reçu mes lettres[3] de Paris, dans lesquelles je lui mandais que je m’échappais pour lui aller faire ma cour ? Je les envoyai à David Gérard, et le dessus était à M. Frédérics-Hof. Or David Gérard n’est pas sans doute assez imbécile pour ne pas sentir que ce M. Frédérics-Hof est le plus grand roi que nous ayons, le plus grand homme, celui qui a mon cœur, celui dont la présence me rendrait heureux pendant quelques jours.
J’attends donc à la Haye, chez M. de Podewils[4], les ordres de Votre Humanité, et le forspan[5] de Votre Majesté.
Que je voie encore une fois le grand Frédéric, et que je ne voie point ce cuistre de Boyer, cet ancien évêque de Mirepoix, qui me plairait beaucoup s’il était plus ancien d’une vingtaine d’années au moins.
Pour vous, grand roi, si votre diable
Vous promène, au son du tambour,
Dans Stettin ou dans Magdebourg,
Mon bon ange, plus favorable,
Va me conduire à votre cour,
Au son de votre lyre aimable.
Je suis ici chez votre digne et aimable ministre, qui est inconsolable, et qui ne dort ni ne mange, parce que les Hollandais veulent à trop bon marché la terre d’un grand roi. Il faut pourtant, sire, s’accoutumer à voir les Hollandais aimer l’argent autant que je vous aime.
Quand quitterai-je, hélas cette humide province,
Pour voir mon héros et mon prince
- ↑ Voltaire a déjà parlé des planchers très-pourris du palais de la Haye, dans sa lettre 1353.
- ↑ Palais qui appartenait au roi de Prusse, à la Haye.
- ↑ La lettre 1579 parait être la seule qu’on ait recueillie.
- ↑ Othon-Christophe, comte de Podewils, seigneur de Gusow, envoyé de Prusse à la Haye. Voltaire en parle dans ses Mémoires.
- ↑ Le mot allemand est Vorspann, et le v s’y prononce f. Il signifie relais. Voltaire, qui n’apprit de la langue allemande que ce qu’il lui en fallait, dit-il, pour parler à des chevaux et à des postillons en Prusse, emploie ici le mot forspan comme signifiant permission d’avoir des chevaux de relais. (Cl.)