Correspondance de Voltaire/1742/Lettre 1554

Correspondance de Voltaire/1742
Correspondance : année 1742GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 183-184).

1554. — À M. CÉSAR DE MISSY[1].
À Paris, faubourg Saint-Honoré, 12 décembre.

Je n’ai reçu, mon cher monsieur, votre lettre du 18 novembre qu’hier 11 décembre ; j’y réponds le plus vite que je peux ; je me hâte de vous dire combien je vous suis obligé. Que vous êtes heureux d’être dans un pays libre, où on peut imprimer Mahomet sans craindre de déplaire à ces espèces de Turcs qui se disent chrétiens, et qui ne le sont que pour envenimer ce qu’il y a de plus innocent et pour persécuter les plus honnêtes gens !

Venons vite au fait. Il faut qu’il y ait eu un feuillet d’égaré dans le troisième acte dont vous me parlez. Je vous envoie ci-joint une copie de la scène entière, telle qu’elle doit être imprimée.

Vous vous moquez de moi de me consulter sur la ponctuation et sur l’orthographe : vous êtes le maître absolu de ces petits peuples-là comme des plus grands seigneurs de mon royaume.

Voilà à peu près toutes les difficultés levées. Il est vrai qu’on imprime aussi cette pièce à Amsterdam, mais sous les yeux de correcteurs si ignorants que je n’ai d’espérance qu’en vos bontés ; d’ailleurs imprime qui veut : je peux faire présent de mon ouvrage à plus d’un pays.

Vous me ferez un extrême plaisir d’envoyer un ou deux exemplaires au roi de Prusse, et le plaisir serait complet si vous honoriez l’ouvrage d’un petit mot de vous. Je me croirais alors bien vengé des fanatiques.

Disons à présent un petit mot de Blaise Pascal, patriarche du fanatisme janséniste. Où a-t-il pris sa règle que de deux contraires, quand l’un est faux, l’autre est vrai ? On avait sagement, pour son honneur, supprimé cette pensée. N’y a-t-il pas mille choses contraires également fausses en morale, en histoire, en métaphysique ?

Dix anges ont tué quatre ânes, quatre ânes ont tué dix anges. Le pape a fait un enfant à la sultane Validé, la sultane a fait un enfant au pape. Voilà les propositions qu’on appelle contraires. Vous m’apportez un exemple de deux propositions qui ne sont que contradictoires. L’espace est infini l’espace n’est pas infini. Vous appelez les miennes des inverses mais, révérence parler, les inverses sont tout autre chose : ce sont propositions qui se confirment mutuellement. Comme, par exemple, tout mobile attiré vers un centre décret aires égales en temps égaux. Tout mobile qui décrit aires égales en temps égaux est attiré vers un centre, etc.

Pascal était assurément un grand et respectable génie ; mais les gens qui prennent pour des oracles des idées informes qu’il jeta sur le papier pour les examiner ensuite, et les proscrire en partie, sont de pauvres gens.

Faisons actuellement un petit voyage du jansénisme à l’histoire. Où en est-on, je vous prie, en Angleterre, de cette Histoire universelle qu’on débite feuille à feuille ?

Enfin, par quelle voie puis-je vous envoyer une petite édition, de Genève, de mes folies toutes pleines de fautes d’impression que je vais corriger à la main ?

Dites-moi aussi comment je peux vous témoigner ma reconnaissance de vos soins ? Donnez-moi donc quelques ordres pour Paris. J’aurais bien de la joie à vous obéir. Je vous assure que je vous aime sur vos lettres, comme ceux qui vivent avec vous doivent vous aimer.

Adieu, monsieur vous êtes un homme.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.