Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1459

Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 83-84).

1459. — À M. CÉSAR DE MISSY[1],
chez m. nicolson, à londres.
À Bruxelles, ce 18 juillet 1741.

Monsieur, vous m’accuserez sans doute du péché de paresse ; mais il ne faut que me plaindre d’une santé déplorable qui m’a obligé de prendre des eaux, et qui m’a fait interrompre tout commerce pendant quelque temps. Croyez, monsieur, que je ressens comme une de mes plus grandes incommodités le déplaisir de répondre si tard à l’honneur que vous m’avez fait.

En qualité de citoyen du monde, je prends beaucoup d’intérêt aux maximes de l’Anti-Machiavel ; mais elles sont si peu suivies, et je vois la pratique si peu d’accord avec la théorie que j’ai entièrement abandonné cet ouvrage. Je l’avais publié dans la vaine espérance qu’il produirait quelque bien il n’a produit que de l’argent à des libraires.

Vous me demandez, monsieur, s’il s’agit d’Innocent II ou d’Innocent XI ; c’est sans doute d’Innocent XI, qui était un homme d’un très-grand mérite, et qui me semble avoir très-grande raison dans ses démêlés avec Louis XIV.

Puisque vous voyez M. de Nancy, je vous prie de vouloir bien l’assurer de mon amitié. Je lui rendrai toujours tous les services qui dépendront de moi.

Me permettrez-vous de m’adresser à vous, monsieur, pour savoir comment je pourrais faire venir le Nova reperta et Antiqua deperdita[2], imprimé depuis peu, me semble, à Londres, avec des notes ? Je voudrais aussi la réponse de Wotton à Temple sur la dispute des modernes[3]. C’est peut-être abuser du commerce dont vous voulez bien m’honorer. J’ai lu depuis peu une histoire ancienne en deux volumes in-4o qui, par le titre, paraît traduite de l’anglais : il me semble que cela est très-savant et très-méthodique. Aura-t-on bientôt la suite ? Le libraire qui m’enverrait cette suite avec le Nova reperta serait payé sur-le-champ.

Ces Lettres sur les Français et sur les Anglais dont vous me parlez furent imprimées ridiculement, toutes bouleversées et toutes tronquées. Elles ont paru dans un désordre aussi grand sous le nom de Lettres philosophiques, et un peu moins mal dans un Recueil de mes œuvres fait à Amsterdam sous le nom de Mélanges de littérature et d’histoire. Je n’ai jamais eu la satisfaction d’être bien imprimé.

Au reste, monsieur, j’habite un pays bien stérile pour la littérature, et si vous voulez bien entretenir commerce avec moi, vous y mettrez plus que vous ne recevrez ; on n’imprime ici que des almanachs. Les journaux étrangers y sont défendus, et malgré cela on ne les fait point venir. Il est étrange de voir une telle disette dans un pays riche, peuplé et tranquille. L’Université de Louvain ne sait pas encore que Newton est venu au monde. Je n’aurais donc rien à vous mander de ce pays-ci, si Mme la marquise du Châtelet ne s’y trouvait pas. Elle est la seule philosophe du Brabant. C’est peut-être un peu dommage qu’elle préfère aux découvertes de Newton les monades et l’harmonie de Leibnitz ; mais quidquid calcaverit, rosa fiat. Elle fait toujours bien de l’honneur aux systèmes qu’elle embrasse et qu’elle éclaircit.

Je voudrais avoir quelque chose qui fût digne de vos journaux, je me ferais un plaisir de vous l’envoyer. J’ai l’honneur d’être, avec une parfaite estime, etc.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François. — M. César de Missy était chapelain de l’église française de Saint-James.
  2. C’est l’ouvrage de Pancirole, dont il sera parlé plus loin. (A. F.)
  3. Reflections on ancient and modern learning, by W. Wotton. (A. F.)