Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1447

Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 66-67).

1447. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Camp de Grottkau, 2 juin.

Vous qui possédez tous les arts,
Et surtout le talent de plaire ;
Vous qui pensez à nos housards,
En cueillant des fruits de Cythère,
Qui chantez Charles et Newton,
Et qui du giron d’Émilie
Aux beaux esprits donnez le ton,
Ainsi qu’à la philosophie ;
De ce camp, d’où maint peloton
S’exerce en tirant à l’envie,
De ma très-turbulente vie
Je vous fais un léger crayon.
 
Nous avons vu Césarion,
Le court Jordan qui l’accompagne,
Tenant en main son Cicéron,
Horace, Hippocrate, et Montagne ;
Nous avons vu des maréchaux,
Des beaux esprits et des héros,
Des bavards et des politiques,
Et des soldats très-impudiques ;
Nous avons vu dans nos travaux
Combats, escarmouches et siéges,
Mines, fougasses, et cent piéges,
Et moissonner dame Atropos,
Faisant rage de ses ciseaux
Parmi la cohue imbécile
Qui suit d’un pas fier et docile
Les traces de ses généraux.

Mais si j’avais vu davantage,
En serais-je plus fortuné ?
Qui pense et jouit à mon âge,
Qui de vous est endoctriné,

Mérite seul le nom de sage ;
Mais qui peut vous voir de ses yeux
Mérite seul le nom d’heureux.

Ni mon frère, ni ce Knobelsdorff que vous connaissez, n’ont été à l’action. C’est un de mes cousins[1] et un major de dragons Knobelsdorff qui ont eu le malheur d’être tués.

Donnez-moi plus souvent de vos nouvelles. Aimez-moi toujours, et soyez persuadé de l’estime que j’ai pour vous. Adieu.

Fédéric.

  1. Le prince Frédéric.