Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1341

Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 504-505).

1341. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Wesel, 5 septembre.

De votre passeport muni,
Et d’un certain petit mémoire,
S’en vint ici le sieur Hony[1],
En s’applaudissant de sa gloire.

Ah ! digne apôtre de Bacchus,
Ayez pitié de ma misère !

De votre vin je ne bois plus ;
J’ai la fièvre, c’est chose claire.

« Apollon, qui me fit ces vers,
Est dieu, dit-il, de médecine ;
Entendez ses charmants concerts,
Et sentez sa force divine. »

Je lus vos vers, je les relus ;
Mon âme en fut plus que ravie.
Heureux, dis-je, sont vos élus !
D’un mot vous leur rendez la vie.

Et le plaisir et la santé,
Que votre verve a su me rendre,
Et l’amour de l’humanité,
D’un saut me porteront en Flandre.

Enfin je verrai, dans huit jours,
Le dieu du Pinde et de Cvthère ;
Entre les Arts et les Amours,
Cent fois j’embrasserai Voltaire.

Partez, Hony, mon précurseur ;
Déjà mon esprit vous devance ;
L’intérêt est votre moteur ;
Le mien, c’est la reconnaissance.

J’attends le jour de demain comme étant l’arbitre de mon sort, la marque caractéristique de la fièvre ou de ma guérison. Si la fièvre ne revient plus, je serai mardi ( de demain en huit) à Anvers, où je me flatte du plaisir de vous voir avec la marquise. Ce sera le plus charmant jour de ma vie. Je crois que j’en mourrai ; mais du moins on ne peut choisir de genre de mort plus aimable.

Adieu, mon cher Voltaire ; je vous embrasse mille fois.

Fédéric.

  1. Cette lettre, commençant par sept stances, est la réponse à sept autres
    stances qui sont dans le tome VII, à la date du 26 août 1740, et dont Voltaire
    avait chargé le marchand de vin Hony, nommé dans la lettre 1759.