Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1041

Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 137-139).

1041. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 26 (janvier 1739).

Mon cher abbé, je reçois votre lettre du 21, et celle du 23 au 24.

Grand merci, grand merci ; mais le point principal sera de commencer le procès criminel. Il serait bon que le chevalier de Mouhy se chargeât de le poursuivre en son nom, comme pour son ami, si cela se peut. Mais si les lois s’y opposent, ce que je ne crois pas, voici une procuration que je vous envoie.

Vous la donnerez à quelque bon praticien, qui agira en mon nom, s’il ne peut agir au nom du chevalier de Mouhy ; mais ce praticien ne doit jamais agir qu’au préalable vous n’ayez vu brûler tous les papiers que le chevalier de Mouhy conserve, et qui pourraient me nuire, comme mon premier mémoire justificatif dont je ne suis pas content, et l’original du Préservatif, où il avait mis des choses très-fortes, dont je suis encore plus mécontent. Il faut surtout qu’il m’écrive une lettre ostensible, par laquelle il demeure indubitable que je n’ai aucune part au Préservatif, et, dès qu’il vous dira qu’il m’a écrit cette lettre, et que le tout sera brûlé, le praticien commencera la procédure.

J’ai reçu les deux mémoires. Ne m’en envoyez plus, mais brûlez-les, car je garde copie de tout.

Promettez de l’argent au chevalier, mais qu’il ne se presse point, et qu’il ne mette point de montre en gage. On n’a rien commencé ; il n’a rien eu à débourser ; il a gagné au Prèservatif, dont il est l’auteur en partie ; il a eu cinquante livres ; il en aura encore, mais patience ; il n’y a point eu de feuille tirée, et l’imprimeur devrait rendre l’argent ; mais il n’en a pas reçu. Ne montrez point mes lettres au chevalier, mais assurez-le qu’il est impossible qu’il ait déboursé un sou, puisque le contre-ordre vint en même temps que le manuscrit ; et, quand on aurait commencé, la journée d’un ouvrier vaut un écu, et non pas cent cinquante livres. Si on agit au nom du chevalier de Mouhy dans le procès, que ce ne soit pas lui qui fasse les démarches : j’aimerais mieux ne rien entreprendre. Il faut un homme du palais.

Dites au petit d’Arnaud que j’écrirai pour lui à M. Helvétius.

Il faut, je vous en supplie, demander si les libelles achetés l’ont été devant témoins. Je crois qu’il faut d’abord rendre plainte contre les distributeurs et vendeurs, et leur intenter procès, afin qu’ils nomment l’auteur. Je crois qu’outre cette démarche nécessaire on peut encore très-bien rendre plainte contre l’abbé Desfontaines, comme ayant un intérêt personnel au libelle, comme ayant nécessairement fourni des anecdotes qui ne pouvaient être sues que de lui, telles que des lettres à lui écrites, sa généalogie, son alliance avec Mme de Louraille[2], ses défenses littéraires, enfin comme ayant déjà subi en 1736 une condamnation pour un libelle de cette espèce à la chambre de l’Arsenal, et surtout comme atteint de celui-ci par la notoriété publique. Il faudra faire lever les procès-verbaux de ses écrous au Châtelet en 1724 ou 1725, à Bicêtre, et le commencement du procès criminel chez M. Rossignol, si faire se peut. L’abbé ne sera pas longtemps protégé par monsieur le duc, mais écrivez toujours qu’on ne peut rien faire sans ma présence, et recommandez à Demoulin de m’écrire de même, et cela de la manière la plus forte.

Je vous prie d’envoyer sur-le-champ cette lettre à M. d’Argental avec un des libelles, le tout cacheté.

Je vous embrasse bien tendrement.

  1. Édition Courtat.
  2. Cousine de l’abbé Desfontaines, si on l’en croit. Voyez la Voltairiana. deuxième édition, page 36.