Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 871
Mon cher ami, quand Descartes était malade, il ne répondait pas régulièrement à son Père Mersenne.
1o Non-seulement aucune de ces Épîtres dont vous parlez n’est de moi, mais c’est être mon ennemi que de me les attribuer ; c’est vouloir me rendre responsable de certains traits qui y sont répandus, et dont on dit qu’on a fait un usage extrêmement odieux. Je vous prie instamment de représenter ou de faire représenter au gentil Bernard combien son acharnement à soutenir qu’elles sont de moi m’est préjudiciable. Je suis persuadé qu’il ne voudra pas me nuire, et c’est me nuire infiniment que de m’imputer ces ouvrages ; je remets cela à votre prudence.
Je vous prie de remercier tendrement pour moi le protecteur des arts, M. de Caylus ; il a trop de mérite pour avoir jamais pris aucune des impressions cruelles qu’a voulu donner de moi le sieur de Launai[1]. Je n’ai jamais mérité l’iniquité de de Launai ; mais je me flatte de n’être pas tout à fait indigne des bontés de M. de Caylus, dont je respecte les mœurs, le caractère, et les talents. En vérité, mon cher Thieriot, vous ne pouvez pas me rendre un plus grand service que de me ménager une place dans un cœur comme le sien. Je vous supplie de lui présenter un exemplaire de mon Newton. Je laisse à votre amitié le choix des personnes à qui vous en donnerez de ma part.
Quant au Mémoire sur le feu, que Mme du Châtelet a composé[2], il est plein de choses qui feraient honneur aux plus grands physiciens, et elle aurait eu un des prix si l’absurde et ridicule chimère des tourbillons ne subsistait pas encore dans les têtes. Il n’y a que le temps qui puisse défaire les Français des idées romanesques. M. de Maupertuis, le plus grand géomètre de l’Europe, a mandé tout net que les deux mémoires français couronnés sont pitoyables ; mais il ne faut pas le dire.
Je vous envoie une lettre de M. Pitot, qui vous mettra plus au fait que tout ce que je pourrais vous dire sur cette aventure très-singulière dans le pays des lettres, et qui mérite place dans votre répertoire d’anecdotes.
En voici une qui est moins intéressante, mais qui peut faire nombre. Rousseau m’a envoyé cette longue et mauvaise ode[3] dont vous parlez. Il m’a fait dire qu’il me faisait ce présent par humilité chrétienne, et qu’il m’a toujours fort estimé. Je lui ai fait dire que je m’entendais mal en humilité chrétienne, mais que je me connaissais fort bien en probité et en odes : que, s’il m’avait estimé, il n’aurait pas du me calomnier, et que, puisqu’il m’avait calomnier, il aurait dû se rétracter ; que je ne pouvais pardonner qu’à ce prix ; qu’à la vérité il y a de l’humilité à faire de pareilles odes, mais qu’il faut être juste au lieu d’affecter d’être humble.
Vous reconnaîtrez à cela mon caractère. Je pardonne toutes les faiblesses ; mais il est d’un esprit bas et lâche de pardonner aux méchants. Vous devriez, sur ce principe, mander à M. Lefranc qu’il est indignie de lui de ménager l’abbé Desfontaines qu’il méprise. Les éloges d’un scélérat ne doivent jamais flatter un honnête homme, et Desfontaines n’est pas un assez bon écrivain pour racheter ses vices par ses talents, et pour donner du prix à son suffrage.
Je souscris au vers de la satire sur l’Envie,
Méprisable en son goût, détestable en ses mœurs[4],
et vous devez d’autant plus y souscrire que ce misérable vous a traité indignement dans la rapsodie de son Dictionnaire neologique, et dans les lettres qu’il osait m’écrire autrefois.
Renvoyez-nous vite madame de Champbonin, et venez vite après elle. Mme du Châtelet et moi nous serions cruellement mortifiés qu’on imputât à Cirey la lettre que vous nous avez envoyée sur le Père Castel[5], et à laquelle nous n’avons d’autre part que de l’avoir lue. Il serait bien cruel qu’on pût avoir sur cela le moindre soupçon. Vous savez, mon cher ami, ce que vous nous avez mandé, et votre probité et votre amitié sont mes garants. Je suis bien sûr que si les jésuites m’imputent cet ouvrage, vous ferez ce qu’il faudra pour leur faire sentir combien je suis sensible à cette calomnie.
Envoyez-moi la Lettre[6] contre les Éléments de Newton ; s’il y a du bon, j’en profiterai.
Adieu, mon cher ami ; je vous embrasse avec tendresse. Mandez-moi, je vous prie, à qui vous avez donné des Newton, pour ne pas tomber dans les doubles emplois. Comment va votre santé ? La mienne s’en va au diable.
Répondez à votre tour, article par article. Voici une lettre[7] pour notre prince, à l’adresse qu’il m’a donnée.
- ↑ Voyez tome XXXIII, pages 112 et 338.
- ↑ Voyez la note, tome XXII, page 279.
- ↑ Ode à M. le comte de Launoy, gouverneur de Bruxelles, sur une maladie de l’auteur causée par une attaque de paralysie. Elle est la 9e du IVe livre.
- ↑ Troisième Discours sur l’Homme v. 94.
- ↑ Voyez la lettre 843.
- ↑ Par le Père Régnault ; voyez une note sur la lettre 769.
- ↑ Celle du 20 mai.