Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 848

Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 448-449).
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848. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 3 avril (1738).

En réponse à celle du 31 mars.

Je vous renvoie, mon cher abbé, la reconnaissance de M. Michel, et je persiste à lui donner vingt mille livres en rentes viagères, et à lui laisser vingt mille livres au denier cinq par des billets renouvelables de trois en trois mois. Nous mettrons tout le reste en actions : ainsi voilà nos affaires arrangées.

Je n’ai point à écrire à M. de Gennes. C’est monsieur votre frère qui doit avertir M. Clément, ou tel autre fondé de procuration, que l’échéance est arrivée, et, si on ne paye point, je ne connais qu’un exploit en ce cas pour toute lettre. M. de Gennes est fermier général de Bretagne ; s’il ne paye pas, c’est une très-mauvaise volonté, à quoi la justice est le seul remède. En un mot, c’est à un huissier à faire tous les compliments dans cette affaire, et je vous supplie de ne pas épargner cette politesse. Un petit mot de lettre à M. d’Auneuil ne coûte que quatre sous pour un Savoyard, et ne gâtera rien.

Si M. de Barassy ne me rend pas mes deux mille livres, dont il s’est emparé fort mal à propos, je me flatte que M. le lieutenant civil me les fera rendre. Il ne faut pas assurément le ménager.

Pour M. Tanevot, je prie monsieur votre frère de lui écrire encore, et de lui dire que je suis malade. S’il ne fait point de réponse, il faudra s’adresser au premier commis de M. de Saint-Florentin, dont j’ignore le nom ; mais, pour moi, je vous prie de me dispenser d’écrire : je n’aime pas à demander, à moins que ce ne soit pour d’autres.

Vraiment, vous m’avez fait une belle tracasserie avec le sieur Médina[2]. Ah ! mon cher abbé, ne montrez donc point mes lettres. Je veux bien obliger ce Médina ; je veux bien aussi ne point perdre l’argent que je lui prête ; mais je ne voulais pas qu’il fût instruit de la défiance très-raisonnable que j’ai du payement. J’avais grande raison de demander une signature d’homme solvable ; mais aussi je voulais et je devais lui épargner la mortification d’un refus qui lui fît sentir que l’état où il est est trop connu. C’est un homme obéré que je voulais servir avec un peu de prudence, sans lui marquer que je suis instruit du mauvais état de ses affaires. Si vous pouvez raccommoder ce petit mal-là, vous me ferez plaisir, sinon je m’en console aisément.

Je serais bien aise de savoir si en effet il y a un Rousseau, cordonnier, rue de la Harpe.

J’attends la décision du second cas, et vous remercie de la décision du premier.

Peu importe que l’homme en question soit ou calviniste, ou janséniste, ou juif, ou musulman, ou païen ; ce qui importe, c’est de savoir si, ses biens ayant été confisqués par justice, ses rentes viagères y sont comprises, et si ses billets antérieurs à cette confiscation sont valables au profit de ses créanciers. À en juger par les pauvres lumières de la raison, cela doit être ainsi, et qu’on ait confisqué, par exemple, le bien de M. de Bonneval, le musulman, en 1730, je ne dois pas moins être payé de ce qu’il me devait en 1729 : car ce qu’il me devait était mon bien, non le sien ; mais ce bien était une rente de M. de Bonneval, non échue alors, et confisquée depuis. La justice, en ce cas, n’est-elle pas contraire à la raison ? Voilà ce que je demande à votre raison très-juste.

Je supplie monsieur votre frère de me dire s’il connaît le sieur Parfait ; quel homme c’est, et si c’est lui qui a imprimé le livre en question.

  1. Édition Courtat.
  2. Voltaire vient de le nommer « Médine ». (C)