Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 833
J’ai reçu, mon cher ami, votre lettre et les paquets de Berlin. Notre prince, en vérité, est plus adorable que jamais. J’aurais bien des choses à vous dire de lui, et je voudrais bien lui avoir l’obligation de vous attirer à Cirey. Ma foi, j’ai envie de lui demander qu’il envoie à Mme du Châtelet un second ambassadeur, et que cet ambassadeur soit vous.
Je ne reçois point de nouvelles de mes nièces : les noces les occupent. Je pourrais me plaindre que la Mignot[2] ait préféré l’abominable séjour de Landau à notre vallée de Tempé ; mais vous savez que je veux qu’elle soit heureuse à sa façon, et non à la mienne.
Je n’ai point vu la Gressade[3], ni l’Amour-propre de Delille[4] ; je les ferai venir si vous les jugez dignes des regards d’Émilie. J’écris pour avoir ce recueil de Ferrand dont vous me parlez ; mais je vous avoue que je suis toujours dans des transes que ces maudits livres ne troublent mon repos. Je pardonne aux Almanachs du Diable[5], mais je crains la calomnie ; je crains qu’on ne m’impute des vers de l’abbé de Chaulieu, qu’on a déjà mis sur mon compte[6].
Je vous demande en grâce, mon cher ami, de me mander sur-le-champ ce que vous savez de ce livre, s’il fait du bruit, s’il y a quelque chose à craindre des calomnies du monde que vous habitez. Je vous prie de ne pas perdre un instant, et de me tirer de l’inquiétude où cette nouvelle m’a mis. Écrivez-moi souvent, je vous en prie : vos lettres ajoutent toujours à mon bonheur. Adieu. Ne vous verra-t-on jamais ?