Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 832

Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 420-421).
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832. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
22, à Cirey.

Charmante Thalie, puisque vous voulez bien jouer cet enfant que je vous ai fait, ayez donc la bonté de finir le quatrième acte à ces vers :

De la nature il faut que le retour
Soit, s’il se peut, l’ouvrage de l’amour.

Ne ferez-vous point quelque jour le même honneur à cette Alzire qui vous a déjà tant d’obligation ?

Il est bien vrai que si j’avais l’honneur de vous voir, je ne travaillerais que pour vous, et je ne croirais que vous. Je ne demande point l’amitié du sieur Guyot de Merville ; je demande seulement que vous lui fassiez connaître par un mot (et un mot de vous porte coup), qu’il ne doit point farcir ses préfaces d’injures inutiles contre des personnes qui ne lui ont jamais nui ; rendez-le, si vous pouvez, honnête homme et bon auteur, et sans qu’il vous en coûte qu’un petit conseil donné à propos. Vous savez obliger aussi bien que plaisanter, et je sais que Thalie est un honnête homme.

Mèrope est prodigieusement corrigée et limée : elle ressemble à Amasis, parce qu’il y a une mère ; elle ressemble à Gustave Vasa, parce qu’il y a un fils ; mais elle ne ressemble à rien, puisqu’elle est sans amour.

J’ai taillé bien de la besogne au jeune homme aimable que vous appelez mon élève. Je suis cause au moins qu’il travaille difficilement ; mais le meilleur conseil que je lui aie donné, c’est de vous voir souvent et de vous consulter. Je suis si honteux de ne plus rien faire pour vous que j’exhorte tout le monde à se mettre sur les rangs à ma place. Je suis un pauvre prince détrôné qui ne fait plus la guerre que par ses généraux. J’ai bien encore des tentations de faire des campagnes ; mais Newton me retient, et je crains les sifflets. Mme du Châtelet, qui connaît le prix de vos talents, et encore plus de votre esprit, vous fait mille compliments. Je suis toujours, mademoiselle, plein des sentiments qui m’attachent à vous pour ma vie.

Seriez-vous assez bonne pour me mander si vous jouez cet enfant comme il est imprimé ou comme vous l’avez d’abord représenté ? Est-il sénéchal ? Est-il président ?