Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 758

Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 277-279).
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758. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 18 (juin 1737).

Je vous traite, mon cher abbé, comme le diable de Papefiguière : je ne cesse de vous accabler de commissions.

L’affaire de Bouillé-Ménard a fini par une délégation de M. de Richelieu.

La proposition du payement de la pension à M. Pâris de Montmartel, la petite lettre à écrire dans quelque temps à M. de Lézeau, le payement des mille livres de Demoulin et Hébert, voilà bien du temporel.

À l’égard du spirituel : visite à M. de Fontenelle, et explication sur ce qu’on entend par la propagation du feu ; pièces qui ont été présentées pour les prix de l’Académie des sciences ; petits miroirs pour faire une expérience : c’est encore de la besogne.

Je voudrais que vous engageassiez le marchand de ces petits miroirs à les reprendre quand on s’en sera servi, et à fournir un grand miroir ardent convexe des deux côtés, et porté sur son pied.

Mais voici une autre négociation de savant où il faut, s’il vous plaît, que vous réussissiez, et, surtout, mon cher abbé, que je ne sois point deviné.

Les raisonneurs, au nombre desquels je m’avise quelquefois de me fourrer, disputent si le feu est pesant ou non. M. Lemery, dont vous m’avez envoyé la Chimie, prétend (chapitre v) qu’après avoir calciné vingt livres de plomb il les a trouvées augmentées de cinq livres, en les repesant après la calcination ; il ne dit point s’il a pesé ou non la terrine dans laquelle cette calcination a été faite, s’il est entré du charbon dans son plomb ; il suppose tout simplement, ou plutôt tout hardiment, que le plomb s’est pénétré de particules de feu ! qui ont augmenté son poids. Cinq livres de feu ! Cinq livres de lumière ! Cela est admirable, et si admirable, que je ne le crois pas.

D’autres personnes ont fait des expériences dans la vue de peser le feu ; ils ont mis de la limaille de cuivre et de la limaille d’étain dans des retortes de verre bouchées hermétiquement ; ils ont calciné cette limaille, et ils l’ont trouvée augmentée de poids :

Une once de cuivre a acquis quarante-neuf grains ;

Une once d’étain a augmenté son poids de quatre grains ;

L’antimoine calciné aux rayons du soleil par le verre ardent a aussi, dit-on, augmenté de poids entre les mains du chimiste Homberg.

Je veux que toutes ces expériences soient vraies ; je veux que les matières dans lesquelles on tenait les métaux en calcination n’aient point contribué à augmenter le poids de ces métaux ; mais, moi qui vous parle, j’ai pesé plus d’un millier de fer tout rouge et tout enflammé, et je l’ai ensuite pesé refroidi : je n’ai pas trouvé un grain de différence. Or il serait bien singulier que vingt livres de plomb calciné pesassent cinq livres de plus, et qu’un millier de fer ardent n’acquît pas un grain de pesanteur. Voilà, mon cher abbé, ce qui me tient en échec depuis près d’un mois.

Voici maintenant la grâce que je vous demande : transportez-vous chez votre voisin le sieur Geoffroy, apothicaire de l’Académie des sciences ; liez conversation avec lui au moyen d’une demi-livre de quinquina que vous lui achèterez et que vous m’enverrez.

1° Ayez la bonté de lui demander s’il a fait l’expérience rapportée par Lemery, chapitre v, et s’il a trouvé que vingt livres de plomb calciné pèsent vingt-cinq livres ;

2° S’il a vu les expériences de l’antimoine au verre ardent ; si l’antimoine acquiert du poids en se pénétrant des rayons du soleil, et si aucune matière ne s’y mêle ;

3° S’il a vu, et s’il a fait les expériences du cuivre et de l’étain dans des retortes de verre.

Vous êtes un négociateur très-habile ; vous saurez aisément ce que M. Geoffroy pense de tout cela, et vous m’en manderez des nouvelles, le tout sans me commettre le moins du monde.

Cela fait, il faudrait m’avoir :

1° Un excellent thermomètre ; un baromètre : les plus longs sont les meilleurs ;

2° Deux terrines qui résistent au feu le plus violent, et qui puissent tenir huit ou dix livres de plomb chacune, ou plus, s’il se peut ;

3° Quatre creusets : cela se vend à la halle où on les trouve ; il n’y a qu’une boutique ;

4° Deux petites retortes de verre.

Toute cette fragile marchandise sera en sûreté quand elle sera bien emballée par votre emballeur.

Mais tout cela coûte, direz-vous, et il faut encore envoyer un joli secrétaire par le coche, et où prendre de l’argent ? Où vous voudrez, mon cher abbé. On a des actions ; on en fond, et il ne faut jamais rien négliger de son plaisir, parce que la vie est courte.

Adieu, je serai à vous pendant cette courte vie.

Autre prière, c’est d’envoyer deux Henriade reliées à Rouen, non pas à M. de Lézeau, mais à M. de Cideville et à M. de Formont, et, si vous voyez Prault, dites-lui qu’il devrait bien mettre son nom au frontispice. Bien des gens cherchent la nouvelle édition de la Henriade, et ne savent pas que c’est lui qui la vend. Il n’a qu’à écrire son nom à la main.

Armez-vous de courage, mon cher abbé, car je suis bien importun.

  1. Édition Courfat.