Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 731

Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 232-233).
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731. — À M. LE COMTE DE SAXE[1].

Voici, monsieur le comte, la Défense du Mondain ; j´ai l´honneur de vous l’envoyer, non-seulement comme à un mondain très-aimable, mais comme à un guerrier très-philosophe, qui sait coucher au bivouac aussi lestement que dans le lit magnifique de la plus belle de ses maîtresses, et tantôt faire un souper de Lucullus, tantôt un souper de hussard.

Omnis Aristippum deccuit color et status et res.

Je vous cite Horace, qui vivait dans le siècle du plus grand luxe et des plaisirs les plus raffinés ; il se contentait de deux demoiselles ou de l’équivalent, et souvent il ne se faisait servir à table que par trois laquais ; cœna ministratur pucris tribus. Les poètes de ce temps-ci, sous un Mécène tel que le cardinal de Fleury, sont encore plus modestes.

Oui, je suis loin de m’en dédire,
Le luxe a des charmes puissants ;

Il encourage les talents,
Il est la gloire d’un empire.

Il ressemble aux vins délicats,
Il faut s’en permettre l’usage ;
Le plaisir sied très-bien au sage :
Buvez, ne vous enivrez pas.

Qui ne sait pas faire abstinence
Sait mal goûter la volupté ;
Et qui craint trop la pauvreté
N’est pas digne de l’opulence.

  1. Maurice, comte de Saxe, né en 1696, maréchal de France en 1743, vainqueur à Fontenoy (voyez, tome XV, le chapitre xv du Précis du Siècle de Louis XV), mort le 30 novembre 1750. Jusqu’à présent on avait mis cette lettre en tête de la Défense du Mondain voyez tome X) ; elle a été imprimée, pour la première fois, en 1771, comme trouvée dans les papiers du maréchal. (B.)