Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 652

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 139-140).
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652. — À M. THIERIOT.
Septembre.

J’ai reçu enfin, mon cher ami, ce paquet du prince royal de Prusse. Vous verrez, par la lettre dont il m’honore[1] qu’il y a encore des princes philosophes, des Marc-Aurèle, et des Antonin. C’est dommage qu’ils soient au fond de la Germanie.

C’est au moins, mon ami, une consolation pour moi que des têtes couronnées daignent me rechercher, tandis que Rousseau, La Serre, Launai et Desfontaines, m’accablent de calomnies et de libelles diffamatoires.

Vous savez qu’il y a déjà longtemps que Rousseau et Desfontaines firent imprimer un libelle[2] contre moi dans la Bibliothèque française. Puissent mes ennemis m’attaquer toujours de même, et être toujours dans l’obligation de mentir pour me nuire ! Je suis persuadé que ce petit Lamare se mettra au nombre de mes ennemis. Je l’ai accablé d’assez de bienfaits pour souhaiter qu’il se joigne à Desfontaines, et qu’on voie que je n’ai pour adversaires que des ingrats et des envieux. C’est déjà se déclarer mon ennemi que d’en user mal avec vous. On ne peut pas me déclarer plus ouvertement la guerre. Il est triste pour nous d’avoir connu ce petit homme. Nous sommes bons, on abuse de notre bonté ; mais ne nous corrigeons pas.

Au reste, ma bonté ne m’empêche point du tout de réfuter les calomnies de Rousseau. Ce ne serait plus honte, ce serait sottise.

Il y a une autre vertu dont je crois que j’aurai besoin bientôt : c’est celle de la patience et de la résignation aux jugements de nosseigneurs du parterre[3] ; mais je crois aussi que vous vous souviendrez de la belle vertu du secret. Je vous en remercie déjà, vous, Pollion, et Polymnie[4].

Dites, je vous prie, à cette belle muse combien je m’intéresse à sa santé, et ménagez-moi toujours la bienveillance de votre Parnasse. J’ai lu le Mentor cavalier[5]. Quelle honte et quelle horreur ! Quoi ! cela est imprimé et lu ! M. de La Popelinière ne doit point en être fâché. On y dit de lui qu’il est un sot. C’est dire de Bernard[6] et de Crozat qu’ils sont des gueux,

À propos de Bernard, aurai-je la Claudine du vrai Bernard, du Bernard aimable ?

Voici qui me paraît plaisant. Je voulais vous envoyer la lettre du prince royal de Prusse, et je ne vous envoie que ma réponse : il n’y a qu’Arlequin à qui cela soit arrivé ; mais on copie la lettre du prince, et vous ne pouvez l’avoir cet ordinaire.

Vous aurez la pièce entière de la philosophie émilienne, dont vous avez eu l’échantillon[7]. Je vous embrasse.

  1. C’est la lettre 629.
  2. Voyez la note sur la lettre 646.
  3. Allusion à l’Enfant prodigue, joué le 10 octobre suivant.
  4. Mlle  Deshayes ; voyez une note de la lettre 628.
  5. Voyez la note sur la lettre 651.
  6. Samuel Bernard et Antoine Crozat, très-ricbes financiers, morts, le premier en janvier 1739, le second en juin 1738.
  7. Dans la lettre 637.