Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 641
Mon cher ami, vous êtes l’homme le plus exact et le plus essentiel que je connaisse ; c’est une louange qu’il faut toujours vous donner. Je suis également sensible à vos soins et à votre exactitude.
J’ai reçu une lettre[1] bien singulière du prince royal de Prusse. Je vous en enverrai une copie. Il m’écrit comme Julien écrivait à Libanius. C’est un prince philosophe ; c’est un homme, et, par conséquent, une chose bien rare. Il n’a que vingt-quatre ans ; il méprise le trône et les plaisirs, et n’aime que la science et la vertu. Il m’invite à le venir trouver ; mais je lui mande qu’on ne doit jamais quitter ses amis pour des princes, et je reste à Cirey. Si Gresset va à Berlin, apparemment qu’il aime moins ses amis que moi. J’ai envoyé à notre ami Thieriot la réponse[2] de Libanius à Julien ; il doit vous la communiquer. Vous aurez incessamment la préface[3], ou plutôt l’avertissement de Linant, puisque ni vous ni Thieriot n’avez voulu faire la préface de la Henriade. Continuez, mon cher ami, à m’écrire ces lettres charmantes qui valent bien mieux que des préfaces. Embrassez pour moi les Crébillon, les Bernard, et les La Bruère. Adieu.